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2ème partie : à la recherche du continuum de la science et du mythe

Une prémisse au développement d’une telle entreprise, qui nous serait bien utile mais qui semble relativement ambitieuse et vouée à un échec prématuré à cause de la lourdeur de son aporie, consisterait à définir ces deux termes qui sont : science et mythe.

Beaucoup semble les séparer cependant « la science est beaucoup plus proche du mythe qu’une philosophie scientifique n’est prête à l’admettre »[14]. La dichotomie ne semble ainsi plus si préservée : les propres règles prétendues fixes et universelles remettent en question la science, celle-ci devenant de plus en plus une idéologie, certes prétentieuse et « insolente », mais aussi « dogmatique » et religieuse. L’« utopique » et « pernicieuse » conviction que la science est et doit être organisée autour de règles entretenues par la tradition scientifique ne peut que la conduire vers le continuum du mythe. La science peut s’avérer qu’un mythe aux yeux de nos enfants…
Dichotomie science-mythe ?

La définition courante d’un mythe nous le fait apparaître comme une récit légendaire – et donc comme un récit mêlé d’imaginaire et de faits historiques (l’histoire des sciences ?) – transmis par la tradition, qui à travers les exploits d’êtres fabuleux (nos scientifiques ?), fournit une tentative d’explication des phénomènes naturels et humains.

Ainsi émerge de cette définition, nullement exhaustive mais assez problématique, un certain nombre de questionnements : en effet le mythe peut être un récit mais il peut aussi être une image, une conscience, une forme abstraite d’un classement idéologique – conscient ou inconscient – de faits historiques soit déformés par la lumière du temps, soit amputés de certains évènements échappant à la mémoire collective, soit inventés et imaginés mais tirant toujours leur essence de cette quête vers la description et l’explication de faits inexpliqués jusqu’alors, époque où le mythe n’est alors pas encore reconnu comme tel.

« Le mythe est lié à la première connaissance que l’homme acquiert de lui-même et de son environnement ; d’avantage encore, il est la structure de cette connaissance »[15].

Le mythe est donc nécessaire à l’homme qui peut se défendre et se protéger contre l’inconnu. Le mythe est donc aussi une enveloppe mentale et abstraite dans laquelle l’homme trouve refuge et « son lieu dans l’univers ». Le mythe est vital et apparaît comme l’ « assurance sur la vie, assurance dans la vie, conjuration de l’angoisse et de la mort »[16].

Cette image du mythe diverge, sans pour autant la contredire, de la première définition que nous lui avons assigné. Ce n’est donc plus un récit légendaire dans lequel des êtres fabuleux créent des évènements tout autant fabuleux, mais, selon l’évhémérisme, une des premières interprétations des mythes, le mythe devient cette transcription de faits anciens et de personnages historiques. Ainsi le mythe fait partie intégrante de l’histoire de l’homme, et ne peut être mis de côté sous prétexte que ces évènements passés sont imaginaires.

Les relations entre la science positive et le mythe sont relativement ambigües et complexes.

Selon certains, comme Lévy-Brühl, le mythe apparaît comme une pensée prélogique[17], dans le sens où la raison n’y est pas présente intrinsèquement. Il diffère donc fondamentalement de la science telle que nous l’admettons aujourd’hui. Ainsi, pour lui, le mythe est « la carcasse indifférente qui subsiste » une fois que les « éléments mystiques qui enveloppent le contenu positif du mythe » se sont « évaporés ».

Aussi, même avec une définition du mythe comme celle-ci, nous pouvons nous apercevoir que l’évolution des pensées et récits mythiques s’apparentent beaucoup à la méthodologie prônée par les rationalistes critiques. « Tous ces mythes confluent d’ailleurs dans un mythe plus général, qui est le mythe même de la science, le Scientisme »[18].

« Un examen révèle que la science et le mythe se chevauchent de bien des manières »[19], les ressemblances sont nombreuses, à tel point que nous pourrions nous demander si les mots science et mythe ne sont pas en quelque sorte des synonymes, s’ils ne sont pas en réalité deux mots signifiant la même et unique chose : par un ensemble de règles, le mythe et la science s’efforcent de donner à la complexité du Monde un sens et une finalité. Les mythes d’aujourd’hui sont les sciences d’hier, non encore avouées ou nécessaires.

Le mythe pourrait être une science oubliée, ou laissée de côté, une ancienne science qui ne s’inscrirait plus dans le paradigme actuel du rationalisme et de l’empirisme logique mais qui s’inscrivait dans une conception différente des réalités et de la nature d’autrefois. L’histoire des mythes et des sciences nous révèle cette psalmodieuse évolution des conceptions, des craintes et des peurs que l’homme a connu le long des civilisations. Ignorer les mythes c’est ignorer les sciences telles qu’elles ont été et ont pu être auparavant, lorsque le réel ne s’opposait encore pas radicalement à l’imaginaire.

Feyerabend, pour montrer les « ressemblances surprenantes du mythe et de la science », rappelle quelques conceptions de Horton dans son essai : « La pensée traditionnelle africaine et la science occidentale ». Ainsi, selon Horton, la recherche équivaut à donner un contenu théorique à une unité cachée derrière la complexité apparente des observations communes. « La science, comme le mythe, coiffe le sens commun d’une superstucture théorique »[20], les modèles théoriques étant plus ou moins abstraits, c’est à dire s’éloignant plus ou moins des analogies de départ.

Selon Horton, « les idées centrales d’un mythe sont considérées comme sacrées », et quiconque essaie de les attaquer ou de les contredire se voit frapper d’une « réaction de tabou » tandis que la science s’érige en un « scepticisme essentiel ». Feyerabend relativise cependant cette naïve vision de la science : en effet la majorité des scientifiques croit qu’il est réellement possible, par des études minutieuses et raisonnables, par le progrès scientifique, d’atteindre la connaissance, le doute et l’irrationnel étant gentiment laissés pour compte. Le scepticisme ne s’applique en fait qu’aux idées secondaires, puisque, comme nous l’avons vu, les parts de vérité (« les idées fondamentales ») se propagent de théories en théories. Par contre, s’attaquer aux idées fondamentales, et c’est là un point commun entre le mythe et la science, et donc remettre en cause la vérité d’une théorie, provoque ce tollé général, ces réactions de tabou qui « ne sont pas plus faibles que celles des sociétés dites primitives »[21]. Ces réactions peuvent être assimilées aux règles mises en place par le rationalisme critique : lorsqu’une contradiction ou une anomalie est suceptible de remettre en cause la vérité des idées fondamentales, on préfère la mettre de côté et lui étiqueter le terme de non-scientifique.

Cette lutte acharnée contre le mythe et le soi-disant irrationnel semble être totalement paradoxal, puisqu’en retraçant l’histoire des sciences comme l’a notamment montré Kuhn[22], la science ne saurait progresser sans l’existence justement d’anomalies, d’attentes nouvelles sortant du paradigme rationaliste en cours.
Pour un réexamen de la science moderne
La science, ainsi, doit beaucoup à ces nouveautés de conceptions et d’appréhension des problèmes. En effet, ces anomalies peuvent entrainer, même si la resistance scientifiques est accrue et la réaction de tabou forte, un changement de paradigme, qui à défaut d’améliorer la science, la fera en tous les cas évoluer. Ce qui était hier jugé irrationnel peut aujourd’hui s’avérer rationnel. Il ne faut donc pas négliger les mythes et autres idées que les « rationalistes voudraient voir disparaître de la surface de la Terre »[23].

« Toutes les méthodologies ont leur limites, et la seule règle qui survit, c’est : Tout est bon »[24].

Un réexamen de nos a priori est donc nécessaire, et celui-ci pourrait justement commencer par la remise en question de l’outrecuidance de la science. Ainsi, pour Feyerabend, pour rompre « la barbarie forcenée de l’âge technico-scientifique »[25], il faut commencer par séparer la Science de l’Etat.

La science moderne ne cesse de nous émerveiller par tous ses aphorismes rationalistes – les « miracles technologiques » –, « sortes de contes de fées touchant la manière dont ces miracles sont produits »[26].

Ainsi, la science peut jouir de sa place particulière par rapport aux autres institutions, ainsi que de tous les privilèges dont elle bénéficie, ses relations avec l’Etat, qui lui octroie de lourds fonds pécuniers, la confortant dans son entreprise de faire admettre à tous – profanes et scientifiques – que les idées de la science font progresser les sociétés contemporaines.

Au nom de principes et de règles dits universels et surtout au nom de la Raison, la science peut enfin progresser et tout le monde peut profiter de cette marche en avant aux couleurs du bonheur. La science apparaît donc comme une « structure neutre, contenant des connaissances positives indépendantes de la culture, de l’idéologie ou des préjugés »[27]. Une séparation de l’Etat et de la science n’est donc pas nécessaire puisque la science n’influera en rien dans les décisions des gouvernements…

Cependant, comme nous l’avons exposé précédemment, nous savons que ces règles et ces méthodes utilisées par la science positive sont dogmatiques par essence : elles refusent certaines idées sous prétexte qu’elles n’entrent pas dans les conceptions contemporaines du groupe scientifique (le rationalisme critique). Or ceci forme justement une idéologie, une croyance que le bien ne peut être réalisé que par la science, qui est seule susceptible de transporter la vérité en son sein. « Une science qui se targue de posséder la seule méthode correcte et les seuls résultats acceptables est une idéologie »[28].

Feyerabend soutient avec assertion que la science doit définitivement être séparée de l’Etat, car, contrairement aux lois dictées par l’Etat qui ont été approbées par le peuple gràce au vote, les lois imposées par la science n’ont, elles, aucun antécédent démocratique.

Alors quand on nous impose d’aller étudier les sciences dans les écoles, les collèges, les lycées, etc. on ne nous donne le choix d’apprendre. Les mythes et les anciennes théories ne sont simplement considérés comme des faits historiques, voire des légendes, et non plus comme des marches de cet escalier qui monte, ou qui bifurque.

« Séparer la science de la non-science est non seulement artificiel, mais aussi nuisible à l’avancement de la connaissance »[29]. Au lieu de constamment essayer d’effacer les profanes, les non-scientifiques, la science se doit d’étudier ces autres conceptions du monde, qui forment la richesse culturelle de l’humanité, et qui l’ont aidée à devenir ce qu’elle est aujourd’hui. La science n’est qu’un phénomène historique, ce n’est pas le seul et l’unique moyen d’aborder un problème.

Le citoyen doit toujours avoir cela en tête. Personne ne l’oblige à pratiquer le protestantisme – du moins dans les sociétés dites développées – , ainsi personne ne devrait avoir le droit de le forcer à parler le langage scientiste pour faire entendre ses idées et ses conceptions du monde.

S’il décide de pratiquer telle religion et de se prononcer en faveur de la science, alors ce comportement peut être jugé de « rationnel », à condition toutefois qu’il ait eu le choix en étudiant justement « tous les types de contes de fées, tels que les mythes des sociétés primitives, pour avoir les renseignements nécessaires à une libre-décision »[30].

« En tout temps, l’homme a abordé son environnement avec des sens grands ouverts et une intelleligence fertile ; de tout temps il a fait d’incroyables découvertes ; à toutes époques, ses idées nous permettent d’apprendre »[31].

Ne laissons pas les lois de la censure scientiste dicter nos comportements et empêcher le libre-jeu des émotions, lequel est infiniment nécessaire pour l’épanouissement des sociétés, ainsi que pour l’évolution positive de notre connaissance du Monde.
[14] Feyerabend, Contre la méthode, chap. 18, p.332
[15] Gusdorf, Mythe et Méthaphysique (1984), p.57
[16] Ibid., p.59
[17] Ibid., p.61
[18] Ibid., p.322
[19] Feyerabend, Contre la méthode, p.333
[20] Ibid., p.334
[21] Ibid., p.336
[22] T.S.Kuhn, La structure des révolutions scientifiques (1962)
[23] Feyerabend, Contre la méthode, p.336
[24] Ibid., p.333
[25] Ibid., p.338
[26] Ibid., p.338
[27] Ibid., p.340
[28] Ibid., p.348
[29] Ibid., p.346
[30] Ibid., p.349
[31] Ibid., p.347

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