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Amour, Hasard et Autres Souvenirs...


45


Parfois l’on croit que l’on est maître de son destin. Les quelques choix que l’on ait pu faire dans notre courte existence nous confortent dans cette exagération chimérique dans laquelle on demeure souverain de notre avenir par le seul biais de nos agissements.
Parfois, l’on sait que certains choix pourront déterminer la direction et le cours que notre vie prendra et suivra, qu'elle soit jugée positive ou négative. Cette nouvelle direction, nous l’appelons le destin. D’autre la nomme le hasard. D’autre encore disent que c’était écris là haut, que tout avait déjà était prévu.
Alexandre était, comme beaucoup de personnes, fataliste. Il pensait que chaque fait et geste qu’il provoquait, qu’ils soient conscients ou inconscients, étaient inscrits dans le Livre universel de la vie.
Fataliste peut devenir un mot bien incongru et péjoratif dans certains cas. Souvent il le subordonnait à un pessimisme exacerbé ne laissant aucune part de liberté. Il prenait cependant refuge derrière d’autres idées non moins libertines et libertaires. Cette part de liberté offerte à certains avait elle aussi sa part d’existence dans ce livre magique de la fortunée, ou de l’infortune auraient dit notamment ses collègues hérétiques du cercle du centre de recherche cosmologique.
- Alexandre, voulez-vous prendre la main de Juliette, présente ici à vos cotés, et devant vos deux témoins écureuils, la chérir l’honorer et la protéger pour l’éternité ?
- Oui je le veux.
- Juliette, acceptez-vous de prendre la main d’Alexandre ici présent et devant vos témoins, lui jurer fidélité et amour jusqu’au bout de l’éternité ?
Juliette n’eut le temps de répondre. Un lourd bruit rauque et retentissant se fit soudain entendre. Les deux écureuils, pris de peur, s’enfuirent dans le tumulte naissant. Alexandre eut à peine le temps de se remettre d’un si anodin son perturbant qu’en se tournant vers Juliette, il se mit à crier de peur maladive.
« Où es tu Juliette ? »
Il se tournait, se retournait mais n’apercevait plus Juliette.
Elle avait disparu. Tout avait disparu. Sauf lui et son cœur meurtri d’un chagrin solitaire.
Tout venait de s’envoler. Seul son amour restait intact et semblait augmenter avec le temps qui passait, à présent séparé de celui de Juliette. « Mais qu’est ce qu’il se passe ? Où es tu Juliette ? »…

46


« Mais où sommes-nous au juste ? »
Cette phrase résonnait d’un inextricable ronronnement dans la tête d’Adonis, troublé par la tournure des événements qui défilaient au travers d’un illogisme permanent.
- Adonis, qu’est ce qu’il se passe au juste ? Je ne comprends plus rien. Sarah était, elle aussi, en proie à un sentiment de confusion désordonné.
- Ne t’inquiète pas Sarah. L’essentiel est que nous soyons encore ensemble...
Adonis essayait de paraître le moins possible troublé par ce qui leur arrivait. Cependant, de légères preuves de manque de confiance et de conscience apparaissaient et venaient effleurer la peur qu’éprouvait Sarah face à tant de désordre logique.
- J’ai peur Adonis. Qu’est ce qui nous arrive ?
Adonis ne répondit point. Lui aussi avait peur. Leur destin leur échappait complètement. Celui-ci parcourait lui-même sa propre route et empruntait son propre cours. Il les délaissait au second plan. Il les pourvoyait d’un sentiment de soumission face à quelque chose ou quelqu’un qui les dépassait.
- Et si nous allions chez moi ? prononça Adonis d’un ton qui se rapprochait de plus en plus de celui de la folie.
Ses yeux étaient devenus soudainement noirs d’incompréhension. Ses pupilles s’étaient tout à coup dilatées dans une couleur sombre d’incohérence malgré l’avancée tardive du soleil. Il était parvenu à ce point de rupture où l’homme, ne pouvant plus se suffire à lui-même, étant devenu complètement dénué d’espérance et d’espoir, peut sombrer dans un état qui le laissera nu dans l’allégresse de l’inconscience. Cet endroit dépourvu d’allégeance morale, ôté d’une quelconque conscience de soi. Ce lieu où le temps est à jamais révolu, où le temps n’a plus d’importance, où plus rien n’a d’importance. Ce sanctuaire où la vie elle-même n’existe plus, où elle a fini d’être, ce lieu dans lequel le tout converge vers le rien…
Cependant, ou heureusement, Sarah était et demeurait là. Elle était ce fil d’Ariane qui était capable de ramener Adonis vers ce réel tellement bouleversant, capable de le sortir de cet antre de la folie vers lequel, désespérément, il commençait à sombrer, tête baissée et yeux fermés.
- Adonis ? Mais qu’est ce qui t’arrive ? Viens contre moi. Tu m’as l’air complètement malade…
C’est Sarah qui s’approcha de lui. Lui restait debout face à elle, la fixant de ses yeux devenus hagards. Il ne faisait plus aucun geste. Ses paupières avaient fini de battre. Il restait muet d’incertitude. La folie le rongeait. Il essayait de lutter…
Sarah l’enlaça et lui murmura quelques mots susurrant l’innocence naïve.
Il fallut bien du temps à Sarah pour parvenir à faire émerger Adonis de son état de béatitude profonde.
Au bout de quelques minutes, à moins que ce ne soit au bout de quelques heures ou de quelques jours, Adonis revint à lui, se retrouvant serré contre le corps doux et chaleureux de Sarah.
- Mais qu’est ce qu’il se passe au juste ? cria d’une véhémence obtuse Adonis qui ne parvenait plus à dissocier l’envers du réel.
- Je ne sais pas… je ne sais plus… chuchota Sarah.
Ils firent encore quelques pas, essayant de retrouver les couleurs et les sons qu’ils connaissaient depuis lors.
Ils aperçurent soudain un homme qui se rapprochait d’eux en titubant de fatigue et d’incompréhension.
Plus cet homme se rapprochait, et plus son physique semblait se rapprocher et se confondre avec celui d’Adonis. Sarah se frotta les yeux plusieurs fois pour savoir si elle ne rêvait pas. Mais à quoi bon. Un rêve dans un rêve est-il encore un rêve ?


47


Jean marchait depuis quelques heures. La nuit l’avait déjà rattrapé et l’avait même dépassé. Cette montagne n’en finissait plus. Plus il la contournait et plus il s’apercevait qu’elle était immense. Souvent il regardait son sommet perdu dans les nuages noirs de la nuit, faiblement éclaircis par la lueur de la lune presque pleine de sa clarté maximale. Cependant à chaque fois qu’il le faisait, aucun changement ne paraissait se promouvoir.
Jean ne désespérait cependant pas. Le chien le suivait toujours dans le même rayon qu’antan.
Tout à coup un lourd gouffre empli d’infra basse se déclencha. Ce son terriblement grave lui arriva de face. Il se baissa subrepticement devant ce raisonnement sourd pour ne pas être renversé. Les feuilles des arbres se mirent à frémir, les pierres roulèrent dans la direction opposée à l’épicentre de l’explosion.
Celui-ci n’était pas très loin de Jean.
Lorsque tout fut fini, Jean se précipita vers l’endroit où ce son grave avait pris son envol.
Soudain, il ralentit son pas. « Comment était-ce possible ? »
Deux personnes commençaient à laisser apparaître leur silhouette dans la noirceur de la nuit. Les rayons faibles de la lune, à moins que ce ne soit la témérité du soleil, ne laissaient que peu entrevoir l’identité réelle de ces deux personnages sortis d’on ne sait où. Jean arrivait tout de même à différencier leur sexe. C’était un couple. Ils restaient immobiles l’un en face de l’autre. Soudain lorsqu’ils l’eurent aperçu, ils se retournèrent vers lui.
Jean n’espérait qu’une seule chose : qu’ils ne fuient pas afin de leur demander s’ils ne connaissaient pas les lieux mieux que lui-même.


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Cela faisait à présent des heures que Sarah et Adonis se trouvaient perdus dans l’ignorance la plus totale. Le soleil était à présent couché et le parfum frais de la nuit, accompagné de ses sons hasardeux, devenait de plus en plus perceptible. Les étoiles venaient emprunter quelque peu la magie de la lune qui était ce soir-là pleine de témérité.
Les arbres d’un côté et une longue étendue fiévreuse de l’autre, ils demeuraient maintenant plongés dans l’adversité de la pénombre. L’atmosphère devenait de plus en plus froide et de plus en plus douce. En quelques mots, elle parcourait le chemin dans l’obséquieuse et sombre aura naturelle.
L’homme se rapprochait toujours d’eux. Sarah n’en croyait plus ses yeux. « Comment était-ce possible ? ».
Par contre Adonis ne semblait pas plus surpris que cela. Il s’était résigné au caractère illogique dans lequel Sarah et lui étaient maintenant plongés. « Certes cet homme lui ressemblait, mais pas tant que cela, et puis il y avait la nuit… »
Sarah observait cet homme dans ses moindres faits et gestes. Depuis qu’elle l’avait aperçu sortant de l’ombre de la nuit, elle n’avait cessé de le fixer sans dire un mot à Adonis à part son inquiétude face à cet homme qui lui ressemblait tellement et qui s’approchait continuellement vers eux. Elle rompit cependant le silence qui s’était instauré depuis quelques secondes mais qui par son pouvoir paraissait avoir duré des siècles.
- Il faut que l’on parte Adonis. Cet homme me fait peur…
- Ne t’inquiètes pas. Tout ce qui nous arrive ici doit être un rêve. Cet homme ne nous fera aucun mal. D’ailleurs, je trouve frappant la ressemblance qu’il y a entre nous… »
Sarah restait muette. Son cœur battait de plus en plus fort au fur et à mesure que l’homme se rapprochait. Elle regardait de plus en plus fréquemment autour d’elle pour voir s’il n’y avait pas un endroit où partir et prendre la fuite. Mais de toute façon, de quoi avait-elle vraiment peur ? La possibilité qu’elle fasse vraiment un mauvais rêve commençait à lui effleurer l’esprit, et elle s’abritait de plus en plus, tout comme Adonis, derrière cette plausibilité.
La silhouette de l’homme était à présent de plus en plus claire et émergeait du flou et de l’opacité de la nuit. Il était grand et mince, avait une démarche dans laquelle on pouvait ressentir une certaine fatigue dans ses mouvements. Ses cheveux longs laissaient transparaître leur noirceur. Leur raideur entraînait l’illusion d’apercevoir un indien sortant du sable mouvant d’une sombre terre perdue dans la noirceur de la nuit.
La ressemblance avec Adonis était bouleversante…


49


L’église demeurait intacte dans les débris chaotiques environnants. Lors de l’explosion, une large fissure était apparue. Tout ce qui naguère avait été présent sur ces lieux avait disparu dans le gouffre de l’inconnu qui avait émergé au même moment et au même endroit que la faille. Elle devait faire au moins deux mètres de large. Elle partait de l’entrée de l’église pour s’arrêter à la croisée du transept, longeant ainsi la nef. Malheureusement, ou par hasard, Juliette se trouvait à ce moment précis juste située sur la fissure. Le noir inconnu la prit aussi vite qu’il était apparu. Personne n’eut le temps de s’en apercevoir.
Alexandre, lorsqu’il reprit ses esprits, n’avait rien pu voir ni même rien faire. Tout était fini. Juliette avait disparu, prise dans l’antre d’un gouffre qui menait directement aux enfers, le jour de leurs noces…
La faille s’était refermée aussi vite qu’elle était apparue. Elle n’avait laissé derrière elle que désolation humaine. Alexandre restait figé cherchant du regard les yeux bleus de Juliette. Mais aucun regard ne faisait écho à ses rêves.
Il fit quelques pas dans l’église inanimée et abandonnée de toute espérance pour essayer de savoir ce qu’il venait de se passer. Seul un lourd bruit rauque demeurait constant dans l’atmosphère, se répercutant dans de graves lamentations le long des parois scolastiques.
De légères lueurs de compassion commençaient à humidifier les yeux noirs d’Alexandre. Il cherchait dans les moindres recoins un signe de vie. Mais tout avait disparu. Tout sauf lui. Il était devenu en l’espace d’un bref instant inutile, sans plus aucun motif d’espoir.
« Etait-ce réellement écris là haut ? ». Alexandre n’en doutait plus à présent. Ce qu’il savait aussi, c’était que Quelqu’un avait écrit cela pour que lui-même puisse à son tour accomplir quelque chose : chercher et trouver Juliette.
Ses longues études sur la mythologie grecque lui procurèrent une large entaille dans son cœur. Un mythe rapporté par un poète grecque illustrait, se rappelait-il, une histoire ressemblant vaguement à celle qu’il commençait à vivre. Le héros devait alors aller chercher sa promise dans le plus inaccessible monde qu’il soit donné à un illustre mortel : dans le royaume d’Hadès.
Mais Hadès ne faisait pas peur à Alexandre. Ni l’enfer ou le diable d’ailleurs.
Tout commençait alors à se mélanger dans sa tête, que ce soit le temps et son écoulement linéaire que ses repères géographiques et ses lectures passées.
Il sortit alors de l’église en courant, ne sachant vraiment plus où aller. Lorsqu’il fut sorti, il fut soudain pris d’un malaise tant ce qu’il apercevait était dénué de logique. Sa voiture n’était plus là. Le torrent non plus, ainsi que le paysage qui avait totalement changé de visage…
Alexandre fit encore quelques pas. Ceux-là durèrent près de six heures qui ne parurent pour lui seulement que quelques secondes. Il se retournait souvent aux quatre coins cardinaux pour essayer de trouver un paysage familier. Mais rien n’y faisait. Juliette était belle et bien perdue, et lui aussi par là même.
« Je la retrouverai quoi qu’il advienne. Si c’était écris là haut qu’elle disparaisse au moment où nous étions les plus heureux, alors il doit aussi être écrit que je la retrouverais et que ce moment ne s’effacera plus jamais de nos faibles cœurs. Il doit être écrit que ce moment dépassera le précédent dans son paroxysme. Je jure devant quiconque me provoquera, qu’il soit vivant ou bien mort, que Juliette et moi serons à nouveau réunis… ». Ces derniers mots, il ne les pensait plus, mais les déglutissait à haute voie. Les derniers phrases furent d’ailleurs prononcées avec une telle franche véhémence et une telle rage hargneuse qu’Alexandre en avait les larmes aux yeux. Il était sincère et n’importe qui se mettrait au travers de son chemin en souffrirait les retombées. C’est du moins ce qu’il pensait…
Le pas résigné, Alexandre continuait son chemin dans le flou total. Vers ce but incertain. Vers ce dont il ne pouvait connaître la portée et la finalité, confortant les lignes qui avaient été écrites sur ces pages de l’existence…


50


Le hasard peut quelques fois se rendre plus puissant que la primitive religion ou la croyance en un quelconque dieu.
Il arrive parfois que ce hasard générateur de coïncidences agnostiques vous amène et vous transporte vers des rencontres et des sentiments dont on aurait jamais connu les prémices tacites.
D’autres fois, ce hasard peut provoquer de subreptices occasions de vivre, d’heureuses joies de se sentir enfin exister dans un conte oublié pour toujours.
Ensuite, une fois toutes ses vies réalisées, ce sont les souvenirs qui viennent appuyer, de leur douce mélodie, les plus beaux moments et oublier ceux qui nous ont été les plus durs.
Les plus merveilleux restent alors ancrés dans notre cœur, amplifiés par les visages angéliques de la passion, tandis que les moins soutenables restent enfouis sous les chagrins de la honte.
Ce hasard est tellement fort qu’il en arrive à contenir tous nos propres souvenirs et allumer la flamme de la nostalgie.
Ainsi, c’est le parfum de la nostalgie qui viendra embellir les saveurs des souvenirs.
Jean avait connu Perséphone par de subreptices hasards. Ces événements anodins les avaient poussés l’un vers l’autre au travers d’innombrables obstacles. Et ni l’un ni l’autre n’auraient pu faire face à cette marche du temps. Ce n’est qu’à travers ses propres souvenirs que Jean avait alors réalisé la portée subjective de ces faits idylliques.
Submergés par la vitesse et la continuité de leur brève rencontre, ils n’avaient pu que se laisser porter par la véhémence et la passion qui les entouraient de leur joug enchanteresse.
Au travers d’un détour de leur vie, Jean et Perséphone resteraient amoureux, ils resteraient emprunts d’une atmosphère qu’ils ne retrouveraient plus jamais sur le chemin de leur existence. Un tel bonheur n’est perceptible qu’au travers la loupe des souvenirs déformés par la nostalgie, et Jean ne le savait que trop.
C’est pour cela qu’il s’était mis à la recherche de Perséphone. Il avait fait cela à la fois pour se rendre vraiment compte de ce qu’une telle passion pouvait entraîner et aussi, pour provoquer son propre destin, l’affronter en duel dans un tumulte de désordre sentimental…
Jean était à présent à quelques mètres de Perséphone, seulement éloignés de quelques soubresauts hasardeux, et ni lui ni elle ne pourraient à présent contrôler la tragédie. Ils en avaient déjà fait beaucoup. Maintenant c’était au hasard et au destin de recouvrir leur avenir et de recouvrer leur drame mélancolique.

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L’écrivain d’un quelconque roman règne sur ses personnages. C’est lui le Dieu qui écrit fatalement les lignes de leur existence. Ces pauvres héros, même s’ils croient qu’ils sont libres, demeurent sous l’influence de quelque chose ou de quelqu’un qui les dépasse. Ils ne peuvent que louvoyer et subir la triste ou l’heureuse destinée de leur existence. Ils restent circonscrits dans les pages d’une vie à jamais figée derrière des concepts et des lignes déjà posés sur une feuille blanche noircie par les langueurs et les reflets de l’existence.
L’écrivain, lui, demeure libre des agissements des êtres qu’il croit gouverner. Cependant, il peut lui aussi être sous le joug d’une quelconque force obscure et noire d’incertitude qui le pousse à écrire les lignes qu’elle a décidé et écrit elle-même. Le fatalisme n’en finira donc jamais ?
Adonis faisait parti intégrante de ces écrivains qui croient ou croyaient que c’est à eux et à eux seuls qu’appartient la destinée des personnages qu’ils ont créés.
En fait, Adonis pensait qu’en posant, au travers de mots rectilignes, ses souvenirs d’une vie révolue, il parviendrait à immortaliser l’imagination fertile qui l’envahissait. Il s’était créé pour l’occasion une série de personnages qui refléterait au mieux la moindre parcelle de sa personnalité, telle qu’il pouvait l’appréhender.
Cependant, à partir de quel moment est il possible de savoir si les personnages qui naviguent sur les vagues d’un roman sont si prestement nantis par la démarche de leur auteur ? L’écrivain n’est-il pas lui-même anéanti et submergé par le vouloir et la destinée de ses héros.
Adonis se posait sans cesse ce genre de question lorsqu’il écrivait et s’arrêtait le soir pour méditer et se reposer.
Le fortuit événement qu’il venait de vivre avec Sarah lui avait refait émergé toutes ses longues réflexions sur ses façons de voir la vie. L’écrivain qui était là-haut aurait-il pu, tout comme lui-même le faisait avec ses propres personnages, décider que l’histoire se déroulerait ainsi ? Aurait-il pu avoir écrit sa propre existence, laquelle il croyait irrésistiblement qu’elle lui appartenait ?
A ce moment de ses pensées, Adonis sortit les feuilles maigres de son manuscrit pour y montrer à Sarah quelques lignes qu’il jugeait à présent comme importantes, tandis que l’homme se rapprochait toujours plus insatiablement d’eux.
- Je ne sais pas trop au juste ce qu’il se passe, mais je crois que ces quelques lignes y sont pour beaucoup…
- Fais moi voir…
L’homme se rapprochait toujours. Sa silhouette s’affirmait de plus en plus. On pouvait à présent y sonder sa physionomie et presque sa personnalité.
Soudain, un cri s’émancipa de la large entaille du passé. Une brèche dans l’espace temps venait de s’ouvrir…


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A présent, Alexandre courait pour essayer de rattraper ce passé qui lui avait fatalement enlevé sa dulcinée. Elle ne devait pas être loin…
Alexandre observait partout aux alentours. Ses yeux étaient devenus flous et commençaient à se teinter de la musique d’une douce folie. Cependant, il ne parvenait nullement à entrevoir la silhouette de Juliette. Tout semblait sous l’effet de la désolation. Loin de Juliette, Alexandre ne pouvait vivre. Eloigné d’elle, son existence se grisait d’un commun parfum de mort. Le froid le submergeait. Le noir et le sombre effaçaient les derniers jets de lumière de cette journée devenue morne de tristesse. Le monde s’éteignait. L’espérance disparaissait. L’espoir pleurait…
Alexandre ralentit tout à coup le pas pour s’attarder sur un relief qui était apparu soudainement à ses yeux. Une large silhouette lourde de la sombre lumière de cette fin de journée accueillait Alexandre d’un air relativement malingre. Ce lourd rocher semblait avoir été posé dans ce décor burlesque par une quelconque et vile force obscure. Celle-Ci devait à présent se complaire dans l’extravagance d’une telle action tant le caractère du paysage alentour était différent.
Alexandre se frotta alors plusieurs fois les yeux car il venait d’apercevoir quelque chose qui pourrait peut-être l’aider dans sa quête et son entreprise. Derrière ce rocher de granit semblaient se profiler deux silhouettes, mais cette fois-ci humaines. Deux personnes semblaient se tenir l’une à côté de l’autre un peu plus en aval du bloc.
Alexandre se rapprocha alors progressivement d’eux. Plus il avançait et plus la nuit continuait son ascension. Bientôt il ne verrait plus. Cependant, une seule chose demeurait dans sa tête. Son espoir venait de renaître. Son espérance le poussait à croire que ces personnes sauraient la cause et le pourquoi de ce qu’il venait de vivre et de subir quelques temps plus tôt. Peut-être sauraient-ils même ce qu’il était advenu à Juliette. Ils pourraient alors lui dire qu’elle est vivante et qu’elle l’attendait justement…
Ses pas se hâtaient. Plus il se rapprochait et plus son trouble d’antan s’évanouissait. Il connaîtrait enfin le fin mot de l’histoire...


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Jean continuait de croire qu’il pourrait un jour revoir Perséphone. C’est en cela qu’il était à présent heureux. Son bonheur n’était alors aucunement bafoué par la débâcle des turpitudes cognitives qui l’assaillaient quelque fois, lorsque lui-même perdait l’espace d’une brève seconde sa foi. Aussi, son optimisme reprenait son pouvoir et lui rendait la beauté de son destin.
« Perséphone et moi serons bientôt réunis… » C’est alors que Jean était heureux. Il s’imaginait ensuite, elle et lui, entrain de complaire la passion de leurs retrouvailles et laisser la flamme de l’amour les réchauffer pour la nuit des temps à travers les confins de l’imaginaire.

54


Alexandre n’espérait plus qu’une seule chose. Retrouver Juliette pour qu’ils puissent enfin faire tous les deux ce qu’ils n’avaient encore eu le temps de réaliser.
« Lorsque nous serons enfin réunis, nous vivrons comme si chaque moment était le dernier. Nous vivrons au rythme de la dernière seconde, ne nous souciant plus que du présent… Nous achèterons un voilier et nous irons dévorer la beauté des mondes qui ont été négligés par les yeux des hommes. Nous nous nourrirons de la simple vue du lever du jour et nous tomberons dans l’émoi lorsqu’il se couchera. »
Alexandre était heureux dans son malheur. Cet anodin événement qui l’avait séparé de Perséphone rapprochait maintenant leur destin du présent. La souffrance s’amenuisait inexorablement. Etre séparé de l’être que l’on aime n’est que souffrance. Mais savoir que l’on pourra bientôt le retrouver et l’aimer au paroxysme de la passion nous enchante et efface les traces noires de l’oubli…


55


Sarah avait lu les quelques lignes qu’Adonis lui avait tendues en toute hâte. Elle se sentait mal à l’aise face à la venue soudaine de cet homme qui se rapprochait toujours vers eux. Les minutes et les secondes s’étaient soudainement transformées en temps incertains et étendus.
Cependant, elle n’arrivait à saisir complètement ce qu’Adonis tentait de lui montrer.
Redonnant le manuscrit à Adonis et gardant toujours fixé son regard vers l’homme qui convergeait de plus en plus vers eux, Sarah se hasarda à demander à Adonis ce qu’il entendait lui faire passer comme message :
- Je ne saisis pas ce que tu veux m’expliquer…
- C’est pourtant simple. Tout ce qu’il se passe ici, je l’ai écrit sur ces quelques pages…
Adonis lui montra alors précipitamment les différents chapitres qu’il avait rédigés et les différentes phases des événements qu’il croyait avoir créées. Ce bloc de granit, Alexandre, Juliette, la quête du bonheur d’un homme à l’abandon, sa rencontre au bord de la satiété avec un couple figé et perdu dans le noir…

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