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Amour, Hasard et Autres Souvenirs...


34


L’histoire d’Adonis avec cette femme russe resterait une histoire inachevée.
Adonis aurait voulu aller plus loin avec elle. Mais il n’en eut pas vraiment le temps. Non que celle-ci refusa ses révélations, mais plutôt parce que le destin dirigé par une main invisible et métaphysique programmait chaque fait, chaque geste et chaque pensée dans une direction qui semblait échapper à ces deux personnages.
Leur destin avait été prévu et analysé par une force obscure et espiègle qui déciderait de la marche que suivraient les événements leurs incombant. Une force qui délimiterait la part de liberté qu’ils pourraient vivre et mettre en œuvre. Une seule chose pourrait échapper au contrôle de cette force et entraînerait la naissance d’une touche de désordre dans cet ordre préétabli : le jugement, ou si l’on préfère, la critique…
Entre deux bribes de souvenirs, Adonis écrivait. Il écrivait toujours ses idées pondéreuses dénuées de concupiscence. Il aurait aimé avoir le courage d’écrire quelques scènes romanesques poussant ses personnages à une aventure, à une brutale passion englobée de pulsions érotiques. Cependant, il n’arrivait pas encore à laisser s’échapper ses idées volatiles d’un sujet qui dépassait ses héros.
Soudainement, quelqu’un frappa à sa porte.
Sa mansarde, petite et dénuée de véritables meubles, était en profond capharnaüm. Il eut à peine le temps d’apercevoir sa silhouette dans la glace miroitante et mirifique de la salle de bain, située à la perpendiculaire de l’unique pièce qui composait son appartement. Il se rendit dans la précipitation à la rencontre de ces coups portés à sa porte, encore synonymes d’inconnu. Le miroir avait laissé naître l’espace d’un instant, l’espace d’une coïncidence entre le moment où Adonis était passé devant et le moment où il s’en était éloigné en tout hâte, une image d’un jeune homme éprouvé par une fatigue intellectuelle et curieux d’une nouvelle dont il ignorait encore la portée… Le miroir avait laissé transparaître l’image énigmatique d’un jeune homme brun, qui semblait maigre par sa grande taille. Ses cheveux étaient longs et avaient la candeur de ceux des indiens. Son visage semblait troublé derrière des traits encore fins et imprégnés de jeunesse.
- C’est Sarah. Tu peux m’ouvrir ?
- Oui, oui, j’arrive…
Il fit vite demi-tour pour prendre son linge sale – des caleçons, des tee-shirts usagés, des chemises tachées – et le jeter dans la salle de bain en prenant soin de fermer la porte et en espérant qu’elle resterait close. Puis il s’enquit d’aller ouvrir la porte.
- Salut Sarah. Ne fais pas attention au désordre. Faut que je fasse le ménage incessamment sous peu…
- Oh, ne t’inquiète pas. Je connais ça.
Sarah semblait radieuse. Elle dégageait une telle beauté… Cependant, dans ses yeux noirs de dilatation régnait une émotion obscure.
- Qu’est-ce qui se passe Sarah ? Tu m’as l’air toute bizarre.
- Je ne sais pas. Il m’est arrivé quelque chose d’invraisemblable. Adonis, j’ai peur…
Sarah avait prononcé ces quelques mots d’une façon qui fit tressaillir Adonis. Il se sentait tout à coup impuissant face à des événements dont il ignorait encore la source, le contenu, et le développement.
Rencontrer Sarah aura été pour lui le tournant de sa vie. Non que la femme russe, prémices d’un amour déjà impossible, ne fut qu’une pièce rapportée à son existence mais que Sarah fut et restera l’apogée d’un imprévisible chargé d’incohérence et de troubles chaotiques…
Il la fit s’asseoir sur une chaise, autour de la seule table qui se trouvait dans sa masure et qui servait à la fois de bureau, de table à manger et de support d’échecs.
Il prit une chaise en face d’elle et la regarda longuement, sans dire un mot. Au bout de quelques instants, elle ouvrit la parole :
- Je ne sais plus trop où j’en suis. Il m’est arrivé quelque chose dont j’ai vraiment du mal à exprimer la signification.
Adonis s’était toujours représenté Sarah comme une femme simple car ce n’était pas le genre de personne à se fabriquer une quelconque chimère relative à son personnage. Et il la savait forte dans la mesure où celle-ci gouvernait toujours la direction d’une discussion, même si elle n’y participait pas, et dans la mesure où elle n’était jamais impressionnée par quiconque. Cependant, le visage de Sarah, quoique toujours aussi éblouissant de mystères, apparaissait aux yeux d’Adonis comme étranger. Il n’arrivait pas tout à fait à la reconnaître. Elle semblait différente de celle qu’il connaissait ou croyait connaître habituellement. Elle paraissait tellement touchée par quelque chose…
Il se leva et alla chercher deux petits verres et la bouteille de vodka qui dormait dans son freezer depuis déjà quelques jours. Il servit une large lampée à Sarah et en fit de même pour lui.
Elle prit tout de suite le verre, le porta impatiemment à sa bouche et l’avala d’une gorgée bien brève. Adonis fit alors de même puis remplit encore les deux verres. La scène se répéta encore trois ou quatre fois ans avant qu’ils n’échangent une parole.
Sous l’effet de l’alcool, Adonis arrivait à mieux discerner le visage anxieux de Sarah. En fait, il parvenait à s’extraire de la commisération qu’il éprouvait à son égard quelques minutes auparavant. Il semblait comme anesthésié des troubles qui l’agitaient quelques minutes plutôt.
Adonis essaya de délier l’atmosphère en tentant de parler de lui, de son livre, tout en se disant qu’il faudrait également qu’il aborde ce qu’il venait de se passer entre eux… Peut-être était-ce cela qui préoccupait Sarah.
- En ce moment, tu sais, j’ai vraiment des difficultés à écrire. Il me semble que lorsque j’entraîne mes personnages dans une certaine direction, ils arrivent à s’en dégager et à faire ce qu’ils désirent. Dès que je m’en aperçois, j’ai envie d’y couper court en leur faisant vivre des choses insensées…
Adonis, dans la chaleur émise par la vodka, s’était lancé dans une idée qui le tourmentait depuis quelques temps. Il avait alors prononcé ces paroles à la fois pour distraire Sarah et pour se plonger dans un sujet qui pourrait l’aider dans ses réflexions futures.
Aussi, Sarah se taisait et ne disait rien. Ses joues avaient cependant rougies par l’effervescence de l’alcool. Mais ses yeux restaient tristes et hagards dans une sombre douleur.
- Tu veux encore un verre ? D’ailleurs qu’est ce que tu penses de cette vodka ? Je crois qu’elle vient directement de Russie.
- Oui, oui, …elle est bonne… Adonis…
- Qu’est ce qui ne va pas ? Enfin, dis-moi. Cela te soulagera peut-être… Je pourrais peut-être t’aider…
- Je crois que je t’aime Adonis…
Jamais Adonis n’aurait pu se douter de ce dénouement. Lui-même, tout comme ses propres personnages, était assailli par les mêmes idées qu’il avait mises en œuvre dans son livre lors de brefs moments d’improvisation : le destin lui échappait. Quelqu’un, quelque chose, ou bien fusse tout simplement le hasard, le gouvernait à présent dans une longue et interminable fresque romanesque. Adonis était bouleversé par cette phrase, porteuse en filigrane de sentiments capables de le rapprocher du bonheur ultime. C’est l’alcool qui parvint à faire en sorte qu’il ne tombe pas dans les pommes et qu’il ne prenne pas une expression tourmentée qui aurait certainement fait fuir Sarah. Du coup, ni son visage ni son allure ne montraient qu’il avait été réellement touché par ce qu’elle venait de dire. Cependant, il en était tout autre. Son cœur s’était mis à battre à une allure accélérée, et de larges frissons avaient envahi son corps laissant derrière elles des sensations de picotement dans tout le corps.
- Tu es sûre que ça va bien ? Bois un verre, ça ira mieux…
- Non, Adonis. Il faut que tu m’écoutes. Tout à l’heure, j’ai rencontré quelqu’un… C’est cette rencontre inopportune qui m’a poussée à me rendre compte des sentiments que j’éprouve pour toi. Saches en tous les cas que depuis notre épisode sur la plage, et également pour chaque moment passé ensemble, j’ai toujours été embrassée par des sentiments opaques d’un trouble amoureux entre toi, du moins je l’espère, et moi…
- Je ne te comprends pas très bien, là ?
Adonis n’arrivait pas à saisir pleinement la tournure que prenait la discussion qui, elle-même, semblait lui échappait. En réalité, il faisait tout son possible pour échapper aux troubles d’une ivresse qui le persécutait et l’oppressait. Il voulait échapper à ces mots empereurs de sagesse. Sa tête commençait à lui tourner sous les tourments de l’alcool. Il se servit une nouvelle fois un verre de vodka d’une bouteille qui sombrait dans le vide de la misère…
- Sarah, je crois que tu as trop bu… Qui c’est ce mec que tu as rencontré tout à l’heure et qui t’a bouleversée à ce point ?
Ces paroles étaient cette fois-ci accompagnées de quelques hésitations sentimentales. Tout en balbutiant ces mots, il était en train de vider la bouteille dans le verre de Sarah.
- En fait, ce n’était pas un mec… c’était un couple… je me rappelle bien le nom de la fille, par contre celui du garçon je l’ai oublié…
- D’accord, on va aller s’acheter une bouteille tous les deux, et tu vas me dire, si tu le veux bien, quel est le nom de cette femme.
- Tu sais Adonis. Tout cela prend une envergure vraiment bizarre. Tout ce qui nous entoure converge vers une tournure totalement improbable…
- Alors, dis-moi, c’était qui cette femme. Je la connais au moins ?
- Tu la connais beaucoup trop…
- Arrête de me faire languir. C’était qui ?
- Elle m’a dit qu’elle s’appelait Juliette…

35


Juliette avait décidé que ce jour serait destiné à se promener dans la campagne, puis ils iraient en ville se réconforter dans l’immortalité des monuments élevés par des hommes dans les confins du temps.
Il y avait toujours eu un objet atemporel qui lui avait attiré l’attention plus que de coutume. Pourtant, cet objet n’était pas artistiquement beau. « Il ne payait pas de mine » ne cessait de lui dire Alexandre lorsqu’ils passaient devant. Cependant, il attirait son attention à chaque fois qu’elle s’en approchait.
Il était situé aux abords de la ville. Tout le monde se demandait d’ailleurs ce qu’il faisait là.
Il semblait avoir été posé ici par inadvertance, par hasard, par la volonté d’une quelconque pensée malingre.

Cet objet était froid de couleur pierreuse.
Cet objet sentait une odeur pieuse.
Cet objet appelait les mythes.
Cet objet était de granit…

Alexandre et Juliette se tenaient enlacés. Elle avait mis son bras autour de sa taille. Il avait mis son bras au-dessus de son épaule. Ils marchaient ne faisant plus qu’un. Les plaisirs simples procurent le plus de bonheur.
Ils provoquaient leur destin sachant que rien ne pourrait leur arriver sans qu’ils ne soient séparés, sans qu’ils ne soient malheureux…
Tout à coup, une femme à la beauté d’une nuit sans étoile leur apparut soudainement. Elle s’écroula devant eux, le souffle haletant, le pouls désordonné…
- Excusez-moi, prononça la femme à bout de souffle ? Je suis désolée.
- Mais non, il ne faut pas. Il n’y a rien de cassé ? demanda Juliette surprise, mais nullement choquée par cette intrusion à la limite de l’acceptable.
La Nuit ne répondit rien. Elle semblait fuir quelque chose d’incertain. Quelque chose qui lui faisait terriblement peur. Quelque chose dont elle n’avait pas elle-même le contrôle.
C’est alors que Juliette se pencha et lui prit la main pour la mettre debout, derrière une myriade de poussière de lumière aux parfums de lavande…
- Je vous remercie, madame. Je n’aurais pas pour le moins du monde osé troubler votre paisible promenade, si…
La Nuit avait remarqué que ce jeune couple se baladait alors et n’avait pas encore trouvé la sollicitude d’un objectif fixé ?
- Y a-t-il quelqu’un qui vous cause des ennuis ? demanda d’un ton tout à fait affable sans la moindre touche d’agressivité Alexandre qui, en ayant observé cette scène de ses yeux sombres, avait remarqué que cette femme, élégante et belle de nuit, ressentait un trouble insipide qui venait lui brisait les traits fins de son visage.
- Non, non, ne vous inquiétez pas. Merci quand même, mais je ne voudrais pas vous déranger plus longtemps pour une sombre altercation qui vient de m’arriver avec quelqu’un que je ne désirais plus revoir de sitôt… Mais ne s’est-on pas déjà vu quelque part ? avait-elle prononcé en s’adressant à présent à Juliette.
- Il ne me semble pas…
- Peut-être bien que si, ajouta Alexandre. Mais les visages des gens ne font que nous effleurer. Nous ratons tellement de jolies rencontres en essayant d’ignorer chaque effigie croisée…
- En fait, le meilleur ami que je connaisse, et qui semble à l’origine de mes tracas…
- Il n’est donc pas si bon que cela ? interrompit Juliette tout en riant d’innocence et en sentant que la jeune femme se sentait mieux à présent.
La femme brune rit à son tour puis continua sur le même ton devenu plus relâché mais qui contenait encore quelques bribes d’émotions ne désirant que se manifester :
- Oui, mon ami écrit un roman, ou du moins essaie d’en écrire un, c’est du moins ce qu’il dit, car il ne l’a pas encore terminé. Et ses deux personnages principaux vous ressemblent comme deux gouttes d’eau…
Cela semblait étrange à Alexandre. Depuis cette nuit d’insomnie et ce rêve qu’avait fait Juliette, errait dans ses pensées comme des objurgations, comme une force relative qui l’incitait à se défendre face à un détracteur invisible capable de le détourner de ses intentions, de ses agissements, de son destin…
Alexandre fit signe à Juliette. Il lui fit savoir par le seul biais du regard qu’il était à présent temps de continuer leur chemin.
Cette femme rencontrée subrepticement avait évoqué un sentiment fureteur chez Alexandre. Il se sentait terriblement en proie à une quelconque recherche de son existence. D’ailleurs existait-il vraiment, se disait-il par intermittences. Ses longues recherches scientifiques tant sur les étoiles, certainement éteintes lorsqu’il les observait, que sur les soubresauts des origines pulsariques de galaxies avoisinantes, sur les trous noirs, sombres de mysticisme, ou bien sur les quasars, ne comblaient pas ses attentes sur les origines de lui-même et encore moins sur ses devenir rendus flous de miroitantes incertitudes…
L’éreintement fatidique d’Alexandre se sentait encore pesant sur son état d’esprit. Il devenait ivre de fatigue et commençait à divaguer. Ses paroles et ses discussions avec Juliette devenaient empreintes de ce trouble, continuum de la nostalgie, et empruntaient souvent un sentier dénué de lumière. Elle qui respirait l’allégresse de la joie ne parvenait plus à endiguer les pensées négatives d’Alexandre.
« L’amour n’existe plus. Le mariage n’est que le miroir de la peur. Il n’est que l’artefact de l’hypocrisie. Nos vies ne nous appartiennent pas. Nous ne sommes que de vulgaires pions voués aux sacrifices. »
Cependant Juliette résistait à toutes ces vagues de mauvaises humeurs sardoniques et pessimistes.
Elle savait que le meilleur moyen pour rendre Alexandre tel qu’il était lui-même n’était surtout pas de l’approuver, cela l’aurait encore plus agacé, mais de rendre éphémère ce qu’il venait de dire.
Elle jouait la carte de l’attention maternelle en montrant que ce qu’il racontait n’était que pure chimère ténébreuse. Elle montrait une telle énergie de vivre que les propos d’Alexandre en finissaient par devenir caduques d’insignifiance, raides d’incohérence. Elle ne se laissait pas voir ni touchée par de tels propos bien amères. Au contraire, elle parvenait toujours à devenir de plus en plus élégante, de plus en plus belle, de plus en plus elle, ce qui amenait Alexandre à reprendre goût à l’amertume de sa vie…
Tout au long de ces quelques paroles échangées depuis qu’ils s’étaient séparés de cette femme aux cheveux et à la componction sombres, ils avaient eu le temps de s’approcher du monument favori de Juliette. Le bloc, qui devait mesurer à peu près un mètre cinquante sur un mètre cinquante, les accueillit fidèlement et le plus naturellement possible. Ils s’en approchèrent alors furtivement, avançant pas à pas, puis s’assirent dessus.
Ils prirent soin de se placer côte à côte puis posèrent leur tête l’une appuyée contre l’autre. Leurs cheveux se mêlaient d’insouciance et de bonheur. Leurs flux d’énergie se retrouvaient en contact et pouvaient enfin échanger tout l’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre…
Ils ne pensaient alors plus à rien. Même Alexandre semblait apaisé. La seule pensée qui venait parfois les envoûter était celle de l’amour. Du moins celle de se sentir aimé par un être que l’on apprécie au plus haut point l’exactitude. Même si Alexandre avait pu avoir raison en disant que l’amour n’existait plus, cette affliction n’aurait pu enlever le caractère pénétrant de ce sentiment de compassion absolue qu’ils ressentaient présentement.
Ils se sentaient terriblement bien tous les deux, seuls parmi la campagne, la ville échappée et délaissée dans les tréfonds de l’éloignement, seuls parmi la plénitude du silence de leur cœur…

36


Après quelques heures de marche sur ce long chemin sinueux, Jean fut surpris de la distance qu’il venait de parcourir. Lui qui tout à l’heure voyait cette montagne terriblement éloignée, tellement petite, il l’apercevait à présent d’une éblouissante et étonnante proximité. Quelques mots restaient importants à ses yeux : l’immensité, la cruauté de la mort, la beauté des fleurs, la vanité des conquêtes, l’innocence du chagrin.
Ces quelques mots parmi l’imposante présence de cette montagne restaient insuffisants mais caractéristiques de l’état d’esprit dans lequel régnait maintenant Jean. Il se sentait de plus en plus proche d’atteindre enfin son but.
Il regarda autour de lui et vit tellement de paysages différents, des paysages qu’il n’avait pas aperçus durant sa longue marche vers l’incertain.
Cependant, éloigné de celle qu’il aimait, tout semblait désolation, tout trépidait sous les spasmes de la satiété.
Et maintenant que faire, où aller ?
« L’unique bonheur que l’on peut atteindre dans la camisole de la passion n’est p as l’atteinte de l’objectif. C’est en réalité sa quête et ses reliquats que nos conjectures ont mis en place et élaborés pour l’atteindre enfin.
Le bonheur n’est pas une fin en soi, mais l’illusion fantomatique d’arriver un jour à pouvoir le toucher… ».
Jean avait perdu sa raison d’être le jour où il avait quitté ce bloc de granit. Cependant, sa raison d’exister, il se l’était tissée dans les mailles des événements, inachevées mais encore nécessaires.
La chaleur commençait à être suffocante. Jamais au long de sa pérégrination, elle avait à ce point joué sur son déroulement. Jean ressentait un trouble indicible qui l’entraînait à prendre refuge sous l’ombre de n’importe quelle surface capable de lui prêter un peu de fraîcheur pour reprendre ses esprits. Heureusement de hauts et larges pins émergeaient face à ses yeux hagards d’envie. Sa tête lui tournait. Il était à la limite de perdre conscience. En fait, il avait déjà perdu connaissance. Il était éreinté de fatigue et de bonheur…


37


Sarah se sentait ivre. Ce qu’elle venait de vivre était loin derrière elle. Elle se sentait à présent libre. Cependant, son passé n’attendait qu’une seule chose : la rattraper.
- Je ne te saisis pas très bien… La seule Juliette que je connaisse, ou du moins dont je t’ai parlée…, c’est l’héroïne de mon livre. Comment aurais-tu pu la rencontrer ? Tu es sûre que tu n’as trop bu ? Tu ne commencerais pas à divaguer ? J’ai une vieille bouteille de genépi dans l’armoire qui pourrait te réveiller des songes dans lesquels tu m’as l’air empreinte…
Adonis était lui aussi ivre. Il ne se rendait plus vraiment compte de la tournure que prenaient les événements.
Sarah semblait plus pale que de coutume. Ses cheveux noirs contrastaient à présent avec son visage devenu diaphane. Ses yeux, tout aussi noirs, laissaient toujours transparaître une lueur d’excitation, ou bien parfois, de frisson.
Adonis se disait intérieurement que cette femme demeurerait belle même si elle ne l’était pas… Ceci n’était nullement une critique mais tout simplement un merveilleux constat.
Elle accepta tout de même un verre de génépi. Le parfum de cet alcool se répandit alors dans la pièce, et les meubles, restreints dans leur nombre, craquaient de concupiscence.
- Nous irons nous même cueillir du génépi dans les montagnes plus tard. Et nous nous abreuverons des délices de l’ivresse des liqueurs que nous perfectionnerons…
Adonis balbutiait à présent mais ce qu’il venait de jeter était tout à fait sincère, pourvu que le temps et l’avenir s’y donnent... Ces mots devenaient encombrés de pauses troublées. Il était fatigué mais continuait cependant à lutter. Ne serait-ce pour rencontrer le regard de Sarah qu’il trouvait tellement plus joli et enchanteur à chaque fois qu’il le croisait.
Ils ne s’étaient toujours pas parlés de leurs ébats d’antan, tant sur la plage qu’avant cet épisode, ni du moins après... De leurs ébats de naguère. De leurs ébats d’il y a quelques moments…
Certes ils n’avaient fait que s’effleurer, ne s’étaient qu’échanger des mots incertains provenant de leurs cœurs malades, mais un amalgame de sentiments s’étaient précipités entre et autour d’eux. Ils avaient peut-être honte maintenant d’en évoquer la signification. Certainement, n’osaient-ils pas aborder la question, de peur de paraître ce qu’ils ne désiraient pas.
Une main maladive les poussa tout de même à entamer la conversation sur ce qu’ils venaient de vivre tous les deux sur la plage, et qui d’ailleurs avait un rapport direct avec les tracas premiers de Sarah.
- Tu sais, Adonis, ce qui m’a rendue toute bizarre tout à l’heure, c’est qu’en fait, lorsque je rentrais de la plage, j’ai rencontré le mec du bar…
- Alors là je te coupe. Je profite du fait que je me sente fort et présomptueux grâce à la liqueur de la vie que nous avons ingurgitée. J’ai peur que tu ne me racontes encore quelque chose qui me blesse…
- Non, au contraire. C’est moi qui serais blessée si je ne te le disais pas. J’ai besoin de toi, Adonis, pour m’aider. Je ne me sens vraiment pas bien…
Elle avait envie de vomir. Non pas à cause de l’alcool qu’elle venait d’ingurgiter mais parce qu’elle se sentait souillée, abusée, corrompue par les touches, les signaux d’une vie désabusée, obtuse d’infatuations...
Adonis se leva et apporta sa chaise jute à côté de Sarah. Il se pencha vers elle et posa sa tête sur ces mains. Ses bras s’appuyaient contre ses genoux. Il avait adopté une posture de repos. Il était prêt à l’écouter. Il lui glissa auparavant un baiser furibond dans son cou, ce qui la fit frissonner de plaisir...
Elle se sentait tout à coup troublée par ce rapprochement d’Adonis. Elle préféra se relever afin de se dégourdir les jambes qu’elle ressentait lourdes d’immobilité.
Ce soir-là, elle était habillée d’une jupe beaucoup plus courte que de coutume. Elle avait en effet l’habitude de mettre de longues jupes ou robes qui lui descendaient délicieusement jusque sur ses minces chevilles. Parfois une touche de sensualité paraissait dans ses vêtements. En général elle revêtait une jupe fendue, soit sur le côté, soit sur le derrière à hauteur des mollets, mais ne remontant jamais plus haut que les genoux, ce qui d’ailleurs, pensait Adonis, était déjà amplement suffisant.
Mais ce soir-là, sa jupe dévoilait ses charmes plus que de coutume. On apercevait alors ses mollets d’une beauté naturelle, ses genoux fins mais nullement osseux, et un semblant de cuisse qui apparaissait lorsque sa jupe noire (presque comme toujours) fendue légèrement sur le côté droit le voulait bien, lorsque ses mouvements hasardeux le permettaient. Elle portait aussi un pull de laine soyeuse, bleue marine, à moitié décolleté, mais qui laissait entrevoir derrière une touche de voile galbé restreinte, un air de sensualité porté par le galbe de sa poitrine.
- Il m’a demandé si je te connaissais depuis longtemps. Il a même voulu savoir où tu habitais… Ne t’inquiètes pas. Jamais je n’aurai révélé quelque chose te touchant à n’importe qui, sans ton avis et ton approbation sur le sujet…
- Et alors, qu’est ce que tu as fait ?
- Je lui ai dit qu’il s’en aille parce que je n’avais nullement le cœur de discuter avec lui, et surtout parce que je n’avais pas envie de le voir après ce que nous venions de vivre sur la plage. Je ne me sentais pas très bien. Tu étais parti d’une façon si brutale…
- Je pense que tu ne sais pas trop bien ce que je ressentais à ce moment-là. Mais j’essaierai de te l’expliquer, le moment venu…
- En tous les cas, ce dont j’étais persuadée, c’est que les sentiments que j’ai éprouvés pour toi étaient sincères… Et je ne voulais pas que ce mec les dénature. Il n’y est d’ailleurs pas arriver. Je le lui ai dit. Mais il a insisté…
- C’est qui ce mec ? Si jamais je le croise, …
- Ne te fâche pas et laisse moi continuer… Il a donc insisté en me prenant la main et en m’entraînant vers lui. Je me suis ainsi débattue et j’ai échappé à ses tentacules. Puis j’ai couru, et c’est alors que j’ai percuté ce couple dont je t’ai parlé tout à l’heure. La femme ma relevée. Nous avons juste eu le temps d’échanger quelques mots. J’ai ainsi appris son prénom et j’ai d’ailleurs remarqué une vague ressemblance entre toi et son ami. Puis je suis partie.
Adonis restait muet. Il se leva à son tour pour se diriger vers Sarah. Puis il la prit dans ses bras et la serra fort contre son corps. Il fit cela quasiment par inadvertance, sans s’en rendre vraiment compte.
Il sentait les seins de Sarah collés contre son torse, et parvenait à ressentir les pulsations rapides et désordonnées de son cœur qui venaient se mêler aux trépidations et aux battements du sien.
Même s’ils étaient à présent enlacés, il essaya de se rapprocher encore plus d’elle, pour se sentir encore plus proches. Il ne voulait plus que faire Un avec Sarah. Ses bras la saisirent encore plus fermement mais tout autant harmoniquement.
Une jambe de Sarah, dans une chaleur dénudée, vint se poser et s’entremettre entre les siennes. C’est alors qu’ils s’embrassèrent sans discernement. C’est ainsi qu’ils s’aimèrent. C’est à partir de cet instant que jamais plus leurs cœurs ne se sépareront…


38


Ils s’aimaient depuis qu’ils s’étaient rencontrés.
Juliette et Alexandre contemplaient la merveilleuse nature bucolique alentour. Leurs yeux restaient rivés, au même moment, tantôt sur un arbre qui venait de frémir par le sourire narquois du vent, tantôt sur la montagne située juste en face d’eux, imposante d’immobilité et de candeur.
Cet endroit était admirable et unique de part le monde, si petit soit-il, comme diraient certains.
Il parvenait à concentrer une multitude de paysages. Au nord se profilait cette imposante montagne que Juliette et Alexandre avaient surnommé le Mont Olympe car tous les deux s’intéressaient à la mythologie grecque et, tout autant agnostique l’un que l’autre, ils y croyaient réellement. Au sud, la mer et ses longues plages de sables dorés par la lumière du temps, ses jetées calcaires par endroits, éclairaient l’horizon. A l’Est se découvrait un long paysage de forêts de pins, de séquoias ou de cyprès. Et à l’ouest apparaissaient de longues étendues de lavandes ombragées par de larges et vastes plaines de roches sédimentaires. Parfois elles étaient recouvertes d’humus et d’autres fois de terre troublée par de simples taches d’herbe verte, ou ocre par temps de sécheresse…
Depuis leur première rencontre sur la colline en aval du Mont Olympe, Alexandre avait subitement changé. Sa vie, naguère consacrée entièrement à son travail de chercheur en astrophysique, s’était entièrement transformée. Auparavant reclus derrière ses articles dits scientifiques, il s’adonnait pleinement à cette quête du superbement grand, ne mangeant souvent qu’une seule fois par jour lorsqu’il avait du temps pour cela.
Il ne se passait jamais un seul moment sans qu’il ne songe à ses recherches actuelles. Toujours, il pensait, ressassait et imperméabilisait ses idées sur des feuilles de papier. Le lendemain, il lui arrivait souvent de déchirer les pages qu’il avait écrites la veille et qui lui avaient coûté tant de patience, de concentration et de temps. Sa vie n’était que tournée vers la science, si éphémère et opprobre lorsqu’une idée marginale venait la déranger dans sa marche contradictoire…
Ses sujets de prédilections étaient nombreux. Pour lui, nul être n’était capable de se spécialiser dans un et un seul domaine. Il lui fallait connaître la diversité et puiser dans plusieurs recoins de concentration pour qu’il soit efficace. Sinon, il risquait de tomber dans l’habitude, voire même la routine, et malencontreusement dans la folie…
En fait, Alexandre pensait que chaque homme, ou du moins, chaque scientifique, ne pouvait rester trop longuement à effectuer une et une seule activité pour qu’il soit réellement efficace. Il lui fallait obligatoirement un havre de sécurité et de retrait dans lequel il pouvait se réfugier et pourquoi pas s’y adonner…
Il s’intéressait ainsi à beaucoup de recherches qui se disaient totalement parallèles et indépendantes. Lui, en réalité, se concentrait parfois à une puis parfois à l’autre suivant ses états d’esprits, tellement malléables et versatiles. C’est ainsi qu’il concevait son existence et son travail de scientifique.
Il passait d’un sujet à l’autre pour se réfugier… pour guetter, pour figer sa pauvre vie volatile…
Il était ainsi passé de l’étude du soleil, de ses nombreux mécanismes chimiques intrinsèques et des nombreuses interrogations, tacheuses, sur son sujet (comment dégager tant d’énergie ? L’homme n’arrive pas encore à trouver l’origine ou les origines de tant de débâcle énergétique : il ne peut que se satisfaire d’un petit pourcentage capable de signifier le pourquoi du comment…). Puis il se tournait à l’étude des mécanismes de la formation des étoiles géantes, et parfois naines, pour quelque fois buter sur ces fameux trous noirs… d’incertitude.
Enfin, il s’intéressait de près, et c’est le sujet sur lequel il errait lorsqu’il a rencontré Juliette et qui ne l’a malheureusement (d’autres auraient dit heureusement) plus quitté depuis : aux origines de l’univers et pourquoi pas à sa destinée.
L’homme cherche sans arrêt une réponse à ses interrogations. Parfois il y arrive ou croit y arriver, ce qui parfois l’entraîne dans de terribles guerres exécrables, parfois, et même souvent, ou bien à jamais, il n’y arrive et n’y arrivera pas…
Sur l’origine de lui-même, l’Homme en a déjà trop parlé… C’est sur l’origine de l’univers, de l’humanité, de la nature, de la vie, des atomes ou des molécules qu’Alexandre songeait alors s’approprier la parole et les mystères.
Il se sentait presque hypocrite de croire qu’il arriverait à quelque chose en expliquant avec ses pauvres mots d’humains l’inexplicable.
Une phrase venait souvent s’ancrer dans sa tête lorsqu’il réfléchissait à la relativité des sciences en général. Celle-ci avait été empruntée à Goethe (éminent homme) qui, se disait Alexandre, n’aurait pu saisir, à l’époque, l’ampleur et la fortunée d’une telle assertion :

Parler est un besoin, écouter est un art…

L’homme de science s’évertue à décrire, à analyser, à disséquer ce qui l’entoure. Tout bonnement il en parle. Cependant, écoute-t-il vraiment ce qui s’affirme d’inhumain autour de lui ? Le perçoit-il vraiment comme il se doit ? Lorsque l’on parle trop, il arrive que l’on n’écoute plus, car faute de temps pour cela…, trop d’orgueil…
« Sur ce mauvais chemin, l’homme s’est engouffré… sur ce mauvais chemin, il y restera… »
Une autre phrase venait souvent à son esprit. Celle-ci était cette fois-ci empruntée à Nietzsche (émérite homme) et psalmodiait justement les avis d’Alexandre sur la science :

Nous savons mieux décrire que nos prédécesseurs.
Nous expliquons aussi peu qu’eux …

Alexandre retombait lourdement sur les brèves obséquiosités de son existence.
Lorsqu’il a rencontré Juliette, une magnifique et voluptueuse félicité l’a envahi.
Il se gardait, au début, d’un tel hasard porteur de suprême bonheur. La veille de sa rencontre inopportune, il avait écrit, mais peut-être pas pensé, sur un morceau de page, les quelques mots qui suivent :

Se défaire du fardeau d’une morose existence vous procure une inextricable félicité de se détacher de l’uniformité des événements.
Aussitôt cette prise de conscience acquise et acceptée, et vous retombez dans les tréfonds de la banalité…

Au début de leur liaison, qui a succédé à leur rencontre sur la colline, sa rationalité l’avait poussé vers une sorte de mise en garde contre celle-ci. Elle avait été pourtant insuffisante face au pouvoir de la passion. Il s’était retrouvé plongé dans une interminable relâche arbitraire.
Du jour au lendemain, il avait reposé ses livres scientifiques dans sa bibliothèque pour vivre enfin avec cette femme, continuellement entourée de magie.
Il retournait dans son laboratoire de recherche que très rarement, lorsque ses ballades champêtres accompagnées de Juliette le conduisaient au devant de l’Université... Sans arrêt des coups de fil de ses collègues ou de ses thésards, précipités au devant d’une question harangue, abondaient les lignes de son téléphone et venaient perturber leur quiétude. Alexandre en était arrivé à débrancher le fil du téléphone, se disant que les choses de l’univers pourraient bien attendre quelques années ou quelques siècles…

La nuit commençait à se poindre. Le soleil, porté par Apollon et éreinté par sa longue journée, voulait à présent aller se coucher et se reposer. La nuit commençait à montrer qu’elle existait, elle aussi. Sa comparse cyclique, la lune, pouvait enfin laisser émerger, grâce à Artémis, des effluves de douceur sur l’humanité.
La nuit, la nuit, la nuit…


39


Sarah ouvrit les yeux. Ils étaient encore lourds d’un sommeil inavoué et corrompu par une soirée trop longue…
Elle ne se rappelait plus trop ce qu’il s’était passé la veille. Mais ce dont elle était sure, c’était qu’Adonis et elle n’avaient pas fait l’amour durant cette nuit. Ils s’étaient restreints, et s’étaient mutuellement engagés à ne pas le faire, repoussant ce moment à un temps où leurs émotions ne seraient nullement tronquées par l’ivresse de l’alcool.
Elle était tout à fait nue dans le lit. Des draps de couleurs multiformes la recouvraient sensuellement en laissant entrevoir les rondeurs de sa féminité. Adonis dormait encore, d’un sommeil profond mais qui ne serait jamais un sommeil récupérateur tant la soirée de la veille avait été chargée d’émotions. Lui aussi était nu, ce qui fit douter Sarah sur le caractère fondé qu’ils n’avaient pas fait l’amour…
Adonis entrouvrit à son tour les yeux. Il vit flou pendant quelques secondes, puis tourna la tête du côté de Sarah pour la voir qui le regardait.
- Salut Sarah, c’est drôle que tu sois là ? C’est une coïncidence ?
- Je ne me rappelle plus trop d’hier soir… Nous avons fait…
- A mon souvenir, tout aussi incertain, nous n’avons pas fait …
- Alors pourquoi sommes-nous nus ?
- Je ne sais plu trop ? Tu sais, il fait chaud en ce moment…
Sentant que la situation devenait de plus en plus équivoque, Adonis se leva en prenant un morceau de drap qui ne recouvrait pas le corps galbé de Sarah, s’entoura de celui-ci au niveau du bassin puis se dirigea vers la salle de bain en faisant dûment attention à ce qu’aucune partie de son corps dénudé ne parviennent aux yeux de Sarah.
Ordinairement, il ne se sentait pas pudique. Mais cette fois-ci, exposé réellement à sa nudité et à celle de Sarah, il se sentait mal à l’aise, il avait honte de quelque chose : de l’atmosphère peut-être, de lui-même, de son comportement sûrement…
La salle de bain était toujours en parfait désordre. Il prit vaguement ce qui traînait pour le mettre dans la panière à linge. Puis il se lava les mains, s’humecta le visage avec de l’eau très fraîche et mit quelques vêtements qu’il n’avait pas encore eu l’occasion d’utiliser. Il sortit alors de la salle de bain et trouva Sarah tout habillée et prête à partir.
- Tu ne pars pas déjà ? Tu ne veux pas prendre un café avant d’y aller ?
- Non, je suis déjà en retard. Il y a une conférence intéressante sur la mythologie grecque que je ne veux pas ratée. Et elle commence déjà dans dix minutes…
- Je serais bien venu avec toi, mais j’ai quelques trucs à régler…
- Bon, excuse-moi si je t’ai posé quelques ennuis hier soir. Je n’étais pas trop dans mon assiette…Bon faut que j’y aille…
- C’est d’accord. J’essaierai de passer chez toi, si tu le veux bien ? J’ai quelques choses à te faire lire…
- On fait comme ça. A plus tard Adonis…
Puis elle s’effaça derrière une porte qui commençait déjà à se refermer…
Adonis fit quelques rangements dans le cas où elle repasserait, si jamais elle avait oublié quelque chose. Il essayait sans cesse de se remémorer les discussions de la veille. Etait-elle sincère lorsqu’elle lui avait dit qu’elle l’aimait ou était-elle à ce point troublée tant par la force de l’alcool que par les tourments de ses tracas ?
Il prit une douche et se réfugia derrière ses maigres écrits qu’il avait cachés dans les tiroirs de son bureau. Il prit son stylo. Une nouvelle idée lui était venue à l’esprit, prenant au départ une forme spongieuse difficile à attraper et à saisir, mais qui laissait parfois une bribe de cohérence émerger. Ses deux personnages n’attendaient qu’une seule chose : que leur vie et que leur destin continuent.


40


La cérémonie était fixée à onze heures dans une simple et petite église qui conservait son charme par son caractère atemporel et désancré de toutes coutumes et artifices des religions passées et présentes. Celle-ci était située aux écarts des environs. Construite en légère hauteur, cet édifice surmontait les douleurs de la quotidienneté. En parfait retrait, elle se targuait d’une innocence bucolique capable de démontrer que la vie en retrait était bien meilleure. La bâtisse était constituée de pierres vieillies de leurs longues années. Cette église restait muette et dénuée de quelconques simagrées et galimatias architecturaux. Elle errait dans la simplicité du temps qui s’écoule.
Juliette et Alexandre avaient décidé de se marier en huit clos. Nul ami, nul parent, nul centaure n’avaient été prévenus et conviés à ce mariage. Ils souhaitaient le faire, entourés de leurs seuls personnes et de leurs seuls sentiments. En fait, seule la famille de Juliette avait connu une esquisse de ce qu’ils projetaient depuis peu. Juliette n’avait en effet aucunement l’intention de s’attirer la colère des dieux…
« C’était un mariage aux chandelles », se plaisait à dire Alexandre.
Juliette y voyait plutôt une touche de romantisme, une marque de reconnaissance dévouée et sincère.
Le mariage est personnel au couple et ne se partage malheureusement pas.
Juliette était déjà prête à son propre réveil. L’espace de quelques mouvements, elle était déjà vêtue de sa somptueuse robe de future mariée. Celle-ci était blanche et dégageait, parmi tant d’éclat, des lueurs de pourpre et de fuchsias.
Des dentelles brodées venaient embellir tant de beauté vénielle et gracieuse. La robe venait parfaire la magnificence et l’élégance de Juliette. Tant de longueur harmonieuse dans les coutures, tant de clarté dans les moindres plis et mouvements de cet habit cérémonieux enrichissaient la lueur émanée de tous les gestes et sourires de Juliette.
Ses bas blancs se laissaient parfois entrevoir aux hasards de ses mouvements et le décolleté de la robe facilitait l’émergence des courbes galbées de son corps.
Juliette rayonnait.
Rares étaient les fois où Alexandre se levait avant Juliette. A chaque fois que c’était le cas, elle savait parfaitement qu’Alexandre n’allait pas bien et qu’il avait mal dormi.
Cette fois-ci, Alexandre se leva bien après elle. Elle était prête et commençait à attendre son réveil lorsqu’il apparut dans le salon ensoleillé par les premiers rayons du soleil. Il fut stupéfait face à tant d’éloge et d’élégance. Ordinairement, il était de coutume que la mariée ne se montre point devant le futur marié avant…
Mais, iconoclastes et agnostiques qu’ils étaient, ils ne prêtaient nulle attention à cela. Faire les choses telles qu’elles venaient étaient leur devise. Carpe diem ; fait ce que doit, advienne que pourra… la vie demeurait assez compliquée pour qu’on la compliquât encore plus.
Ils se souhaitèrent la bienvenue dans cette nouvelle journée en s’enlaçant et en se serrant du plus fort de leurs sentiments. Puis Juliette lui prit la main pour le conduire dans la pièce qui leur servait de bureau et où attendait l’avenir très proche d’Alexandre.
Juliette avait déjà tout prévu et Alexandre ne fit que se laisser transporter par les effluves de douceurs projetées par son caractère enjoué.
Sans s’en apercevoir, Alexandre était déjà tout habillé d’un costume qui contrastait avec la robe de Juliette de part sa simplicité. Mais tels étaient les vœux de Juliette.
Alexandre avait toujours respecté ses volontés et ses vouloirs, et ce n’est pas un jour comme celui-là qui l’aurait fait changer d’idéal.
Seule sa chemise, grâce à sa couleur blanche, comportait une touche commune avec la robe de Juliette. Il portait un pantalon et une veste beige ainsi qu’une cravate un peu plus foncée avec quelques motifs orientaux dans le ton du blanc.
Cependant, bien que tous deux ne fussent pas habillés dans les mêmes styles, une harmonie distincte se dégageait de leur couple. Lorsqu’ils étaient côte à côte, un ordre préétabli régnait au-dessus et autour d’eux. Le caractère énigmatique d’Alexandre se jumelait avec celui enthousiaste de Juliette. Ils formaient une complémentarité romantique d’un couple qui se recherchera toujours dans le bonheur et à travers les tumultueuses passions qu’il rencontrera.
Ils étaient tant différents extérieurement mais si proches l’un de l’autre intérieurement. Leur différence les rapprochait, ils étaient les extrémités du cercle…


41


Adonis pensait constamment à Sarah. Il avait du mal à concentrer ses idées pour continuer à écrire et pour développer cette idée volatile qui lui était parvenue à l’esprit tout à l’heure.
« Il me faut toute ma tête si je veux engager ce nouveau tournant pour mes personnages. Sinon, je ne parviendrais à rien, et ma propre vie viendra trop influencer le cours de leur existence ». Sans s’en rendre compte, Adonis avait tourné son recueil de mémoires vers une écriture plus prosaïque et plus romantique. Ses idées et son autobiographie ne s’y dévoileraient que de façon tacite. Aucun lecteur ne pourrait deviner ce qui se cache réellement derrière chaque ligne de ses écrits. Aucun sauf lui…
Adonis hésitait à présent à aller rejoindre Sarah à la conférence. Peut-être n’était elle pas encore terminée ?
Finalement, il se décida à se rendre là-bas. Si elle n’y était pas, il se rendrait directement chez elle…
La conférence avait lieu à l’extérieur de la ville. La salle dans laquelle elle se déroulait avait été surnommée «l’amphithéâtre de granit ». Cet accoutrement littéraire n’était bien sûr que partiellement justifié car l’amphithéâtre n’était nullement de granit. Mais en fait cette dénomination était apparue parce que quelques mètres derrière la scène se trouvait un bloc composé entièrement de granit, sur lequel de nombreux étudiants et autres voyageurs dans l’incertain s’étaient demandés la raison de sa place ici. Les philosophes s’intéressent quant à eux à la ou aux raisons pour lesquelles l’homme se trouvait lui-même ici… En tous les cas, chacun de ces deux groupes de protagonistes n’arrivait à donner une réponse à leurs suspicions. Chacun préférait se cacher derrière quelques réponses évaporées dans de vaseux discours sinueux de mots alambiqués.
Une fois arrivé au lieu-dit, Adonis vit sortir de l’amphithéâtre un couple qui semblait terriblement synchrone dans leurs attitudes et dans leurs mouvements. Il s’hasarda à leur demander si la conférence était belle et bien terminée, avec une pointe d’hésitation car il avait la nette impression de croire connaître ces deux personnes.
- Non pas encore. Répondit d'un ton affable le garçon qui, derrière un semblant de mystère, attirait tout de même la sympathie.
- Nous sommes sortis non parce que la conférence n’était pas intéressante, mais parce que…
Adonis les remercia hâtivement sentant que son cœur commençait à battre plus rapidement à cause de l’émoi éprouvé par cette anodine rencontre.
« Ce n’est de toute façon pas possible. Mes personnages et leur existence, c’est moi qui les écris… Nul doute que cette coïncidence reste épatante…Peut-être l’écrirais-je plus tard… ».
Puis, tout en repensant à cette brève harangue, il se précipita dans l’enceinte amphithéâtrale.
La voix du «maître de conférence » parvenait de plus en plus distinctement au fur et à mesure qu’il avançait. Le silence de ceux qui écoutaient devenait lui aussi de plus en plus audible au fur et à mesure de ses pas.
Arrivé au devant d’une porte derrière laquelle tout se déroulait depuis fort longtemps, il fut pris d’une vaine hésitation qui le poussa à rester, muet, devant l’enceinte ancestrale.
Adonis préféra ne pas entrer, par respect pour tous ceux qu’il ne connaissait pas mais qui ne souhaitaient certainement pas être dérangés par un quelconque « imposteur ». Il s’assit donc face à l’antre que représentait l’entrée et écouta les paroles de l’échéanceur…


42


Alexandre éprouvait maintenant un léger trac au fur et à mesure que la cérémonie prenait augure. Elle devenait de plus en plus impressionnante au fur et à mesure que le temps les en séparant se réduisait.
Juliette essayait de le soulager comme elle pouvait, parfois y arrivant, parfois non.
- Ce que nous allons faire, ce n’est que pour nous…
- Je sais, répondit alors Alexandre, c’est justement pour cela que je suis mal… J’ai peur que tu ne fasses une erreur…
- Tu es toujours aussi paranoïaque, dit-elle alors en riant de toute sa joie. Je fais là la plus belle chose que je n’aurais imaginée… C’est enfin le pourquoi et la raison de ma venue ici-bas…
Alexandre et Juliette prirent alors la voiture pour se rendre à l’église.
- Tu as bien aimé la conférence d’hier mon petit Alexandre ? Osa prononcer Juliette pour rompre le silence qui commençait à trop s’imposer dans la voiture.
- Tu sais, répondit-il tout en conduisant et en gardant ses yeux rivés et concentrés sur le cheminement de la route qui déferlait devant eux, je n’ai pas trop apprécié le maître de conférence. Il était à mon goût beaucoup trop outrecuidant pour pouvoir saisir et faire saisir toute la philosophie qui règne dans les mythes grecs.
- Moi aussi, j’ai trouvé qu’il était trop prétentieux. Il y a tout de même quelques thèmes et quelques psalmodies qu’il a réussis à conter d’une belle manière. Mais tu y arrives beaucoup mieux. Peut-être parce que tu te considères et que tu es plus proche de ces temps oubliés que lui. Peut-être que lui n’y croit pas assez et pense que ces temps n’ont certainement jamais existé bien qu’il dise lui-même qu’il eut été probable…Il garde ses yeux de scientifiques…
Juliette fut coupée par la monotonie du ronronnement du moteur qui venait de se rompre. La voiture décélérait.
Ils étaient arrivés.
L’église ne se situait pas très loin de la ville. Cependant, l’endroit y était clair et calme. Le paysage semblait montagneux. De hauts rochers surplombaient chaque regard.
L’église était située un peu en hauteur, ce qui aurait pu la confondre avec un monastère. Cependant, l’accès y était relativement aisé. La ville dans laquelle elle avait été érigée auparavant avait été quasiment détruite. Seule, elle était restée, et seule, elle disparaîtrait.
Il n’y avait personne aux alentours. Seuls les chants des oiseaux faisaient échos, les arbres bruissaient des mouvements de leurs feuilles. Un ruisseau se manifestait continuellement par sa présence uniforme, et la musique de son flot alternait avec le rythme des pierres qu’il transportait avec lui.
Alexandre et Juliette se sentaient à présent libérés d’une quelconque force obscure. Ils sentaient l’air d’une campagne belle et éternelle. Ils marchèrent encore quelques temps pour se retrouver devant les marches de l’église. Le moment était venu…


43


Jean se réveilla au pied d’un pin vert d’espérance, le visage humecté. Un chien rodait aux alentours avec des airs de Cerbère…
Il se leva d’un bon, ne savant au juste combien de temps il était resté assoupi. Le soleil était beaucoup moins fort que tout à l’heure et une légère brise rafraîchissante s’était emparée de l’atmosphère dans laquelle Jean naviguait.
L’ombre, elle aussi, devenait plus imposante de part sa présence.
Jean se sentait à présent beaucoup mieux. Ce chien qui rôdait autour de lui, dans un rayon d’une trentaine de mètres, ne l’effrayait pas plus que cela. Il n’avait pas peur des chiens. Il lui suffirait de le lui montrer pour que celui-ci s’en aperçût et sache qu’il n’avait rien à craindre de cet étranger qui venait errer sur son territoire, ou du moins, sur le territoire de son maître, s’il en avait un. Puis il partirait comme il était venu.
Jean avait choisi de contourner cette montagne pierreuse qui semblait d’une circonférence indifférente. Peut-être trouverait-il le passage qui le mènerait aux enfers mais surtout qui le mènerait vers Perséphone.
Le chien le suivait à chacun de ses mouvements. Il tournait toujours autour de lui, comme l’auraient fait des vautours autour de la mort prochaine.
Jean ressentait en lui un pressentiment qui le laissait convaincu qu’il approchait de son but et que celui-ci aurait tôt fait de le croiser.
Il sentait cette impatience qui se fait retentir lorsqu’on espère quelque chose plus qu’elle n’est elle-même. Il s’attendait à tout, à rencontrer n’importe quoi ou n’importe qui, pourvu qu’il revoie Perséphone.
Plus il marchait en contournant le pied de la montagne et plus la nature, les arbres, les fleurs, la terre, les pierres semblaient s’en apercevoir. Il semblait être sous les coups et le joug d’une loi universelle et insoutenable de l’Amour. Jean savait que Perséphone avait ces dons de rendre autour d’elle une tellement belle véhémence chatoyante de couleurs anodines. Il savait ainsi qu’il se rapprochait de ce dont lui-même demeurait incapable de savoir et de supporter. Il demeurait convaincu que Perséphone n’était plus très loin. Tout semblait Elle, tout sentait Elle, tout était Elle.


44


Tout à coup, un énorme fracas retentit dans l’enceinte de l’amphithéâtre. Adonis reprit quelque peu ses esprits (il venait de s’assoupir en songeant à la suite de son livre), et courut vers l’épicentre que tout le monde fuyait à grands pas, en poussant des cris de peurs et de frayeur. Il voulait absolument retrouver Sarah afin qu’ils puissent à leur tour fuir ce dont il ignorait pour l’instant les prémices et l’origine de tant de panique.
Tant de visages tuméfiés par ce qui les dépassait. Tant de corps assourdis et abasourdis par une inextricable tournure des événements. Adonis courait lui aussi, mais à sens inverse. Sans savoir exactement ce qu’il se passait. Il percutait, tombait, recourait et retombait dans les marches descendantes de l’amphithéâtre. Ses yeux regardaient chaque personne en espérant y voir Sarah. Cependant, c’est l’effarement de yeux déformés par une surprise, voire une douleur effroyable qu’il croisait; c’est l’effroi de visages compressés dans l’horreur qu’il rencontrait.
Peut-être l’avait-il croisée sans la reconnaître dans ce tumulte d’aveuglement collectif. Pourtant, il courait toujours et de plus en plus vite. Les marches défilaient sous ses pas incertains. Il croisait de moins en moins de personnes, mais celles-ci devenaient de plus en plus ténébreuses.
Il était presque arrivé jusque sur la scène. Il ne lui restait plus que quelques marches à descendre pour avoir parcouru l’horizon de ses espérances. Des corps jonchaient à présent le sol aveuglé de désolation. Il regardait maintenant les corps raides de stupeurs et de mort. Il essayait de ne pas trouver le visage de Sarah parmi cette hécatombe de douleur.
Après quelques regards furtifs et aveuglants, il aperçut enfin le corps de Sarah, étendu sur un bloc de granit. Il avait dû être projeté par cette explosion fantasque et expressive.
Il courut alors vers elle. Il sentait son cœur s’affoler, à moins que ce ne soit lui-même…
Arrivé auprès d’elle, il se rapprocha de sa bouche en espérant y trouver encore un léger souffle signe de bonheur et de vie. Puis il prit son pouls tout en posant sa tête sur son sein gauche. Son cœur battait encore. Peut-être l’Amour parvenait à faire perdurer les frémissements continuels des mouvements du cœur.
Une légère goutte de sang était parvenue à s’immiscer au coin des lèvres voluptueuses de Sarah. Sinon, rien de ce qu’il venait d’apercevoir dans cette fuite vers l’avant, rien qui rappelait l’horreur de la douleur.
Elle n’était qu’assoupie.
Adonis lui donna un baiser, ce qui lui fit reprendre ses esprits.
- Que s’est il passé ?
- Je ne sais pas, je suis arrivé trop tard. Tu n’as rien ?
- Non ça va… Mais où sommes-nous ?
Adonis se tourna pour scruter ce spectacle de désolation. Cependant celui-ci avait à présent disparu. L’amphithéâtre lui-même avait perdu pour toujours son existence… Sarah et Adonis demeuraient aux côtés de ce bloc de granit, objet de leurs espérances.
- Mais que ce passe-t-il au juste ? demanda d’un ton assiégé et apeuré Adonis. Il y a un instant seulement, tout était différent… Mais où sommes-nous ?
Adonis prononça ces quelques mots en criant, espérant que quelqu’un l’entende et lui fasse parvenir la raison pour laquelle tout avait changé.
Autour du bloc de granit, la nature régnait. Le silence parvenait aux oreilles de Sarah et d’Adonis. Même les sifflements dus à la sombre explosion d’antan avaient disparu. Il ne restait plus qu’eux. Eux et leur pale destin…

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