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Amour, Hasard et Autres Souvenirs...

1


Fatigué par toute une journée de recherche, Jean découvrait à présent la signification et la portée d’une solitude imposée.
Il se souvenait de ce moment partagé avec Perséphone quelques jours plus tôt comme s’il l’avait réellement vécu. Cela pour lui ne faisait aucun doute, quoique certaines réminiscences le faisaient encore douter sur le caractère bien-fondé de ses souvenirs. Une seule chose obnubilait ses pensées : l’appel triste d’une femme qu’il avait aimée, une vibration musicale émise par sa bien-aimée et semblant venir de nulle part…
« Toi seul pourras provoquer la métamorphose de ton univers puisque tu es son seul acteur. La mort nous a séparés mais notre amour restera à jamais le même. Le royaume des morts n’est plus inaccessible. Toi seul peux venir me délivrer des griffes du sommeil éternel. Il n’est pas trop tard… Fais vite… Je t’attends...».
Comment savoir s’il ne rêvait pas, si tout cela était bien réel ?
Derrière lui, un rocher de granit imposait sa présence. Jean s’en approcha pour y prendre refuge du vent. Il se sentait tellement impuissant face à ce qui lui arrivait.
Il n’osait se remémorer trop souvent ces mots prononcés par Perséphone pour ne pas les user et les salir d’un jugement pondéreux porté en hâte. Mais il fallait à présent prendre une décision. Le destin n’attend pas…
Cette journée allait marquer pour Jean un large virage dans son hypothétique et foisonnante vie.
Auparavant reclus dans sa propre existence, une brèche venait de se créer dans son espace temps. Sa vie allait à présent se dilater puis se compresser jusqu’au point où il parviendrait enfin à réaliser ce qu’il désirait au plus profond de lui-même : détrôner l’Apocalyptique Hadès et libérer Perséphone du royaume des morts.


2


Ce jour-là, Adonis se réveilla en sursaut ne se rappelant plus ce dont il venait de rêver.
Il avait mal à la tête, sûrement à cause de la soirée précédente. Elle avait été pour lui un véritable calvaire tant les personnes présentes étaient nonchalantes et dépourvues d’humanisme. Tout le contraire de ce qu’Adonis considérait comme nécessaire dans ses relations et ses fréquentations.
Pour passer cette lente et ennuyeuse épreuve, il avait dû accepter tous les verres que les serveurs lui proposaient se disant qu’ils lui permettraient ainsi de mieux affronter et appréhender cette inutile soirée et ses conversations brassantes d’air.
Aussi, lorsque vint le petit jour, il n’était plus en état de s’en apercevoir et quelques personnes, peut-être plus humaines que les autres, se proposèrent de le ramener dans sa mansarde. Elle était située juste au-dessus de ce luxueux appartement débordant de tous les visages timorés qu’Adonis croisait dans le hall de l’immeuble au moins une fois par jour.
Cela faisait près de six ans qu’Adonis poursuivait ses études, entre années sympathiques et années sabbatiques. Cette dernière période d’études était très importante pour lui car il s’agissait de soutenir son projet de thèse afin d’obtenir une bourse d’étude.
Cependant, cette journée ne serait pas pour lui une journée de travail…


3


Il se souvenait, soudain de sa rencontre avec Juliette.
Cela remontait à 6 ans, mais ce merveilleux et fortuit événement lui resterait à toujours graver dans son cœur.
A cette époque, il se concentrait sur l’astronomie et n’avait ni le temps, ni la conviction de faire autre chose que de regarder les étoiles et d’y déceler l’origine de l’univers.
La disparité des étoiles le fascinait et il se sentait l’obligation métaphysique de trouver une origine à quelque chose qui le dépassait. Il faisait cela par simple passion, et surtout parce qu’il n’avait pu donner de réponse à sa propre existence, si petite soit elle, soit par peur d’y trouver l’ignorance soit par ignorance d’y trouver la peur.
La seule solution que l’on pouvait lui proposer était cette extraordinaire énigme du superbement grand qui supplantait l’individualisme régnant. Peut-être de cette façon pourrait-il découvrir ce fameux Graal que toute l’humanité cherche et a cherché désespérément.
Un jour qu’il sortait de son laboratoire de recherche, il se dirigeait comme beaucoup de soirs vers cette humble colline qui surplombait la ville. Une fois arrivé à son sommet, les nuits dénuées de nuages offraient de merveilleux clichés du firmament, nullement tronqués par les yeux des télescopes. Alexandre en arrivait à penser, tout comme les Dogons auparavant, que seule la vision qu’il nous était permis d’avoir, possédait l’unique essence de déposséder l’ambiguïté de l’univers par l’intermédiation de notre propre pensée.
Il aimait se remémorer les images des galaxies avoisinantes fournies par son ordinateur mais il préférait voir les étoiles que les générations passées ont observées et interprétées des mêmes yeux que lui. Il se sentait alors plus proche de cette marche vers l’intemporalité que vivait l’humanité depuis la nuit des temps.
Ce soir-là allait pourtant se démarquer des autres par son imprévisibilité et son immortalité.
Il allait devenir à présent l’unique cause de sa vie et allait déterminer enfin la véritable raison de sa place sur Terre.


4


L’unique destin de l’homme semblait être sa faculté à s’adapter à la nature en essayant d’y survivre face à ses détracteurs, le plus souvent humains eux aussi.
Il le pousse sans cesse à s’échapper de la réalité pour se réfugier dans les pensées et imaginations, tellement plus belles et romantiques.
Aussi, pour la plupart des individus, il suffit d’une touche d’imprévu pour effacer de longues et ennuyeuses périodes de morosité et de banalité.
Une simple dose d’inattendu provoque chez lui une dilatation du temps, le métamorphosant et le faisant passer de la lenteur à l’animosité, et face au défilement inexorable des événements, le propulsant de plus en plus vite dans le passé.
Cette possibilité de déformer le temps rapproche l’homme du futur. Du moins, elle donne l’angoisse et l’insouciance que le temps présent s’étale de plus en plus et gagne du terrain face à l’avenir, mais en cédant toujours du champ au passé.
L’inconvénient reste dans cette expansion des souvenirs peu malléables et tellement encombrants pour les faits présents.
Adonis avait trouvé la solution pour que le bonheur et la magnificence d’un événement puissent être revécus sans perdre trop d’émotions et de sentiments.
Il aimait la littérature et chaque mot et ambiance créés par les lignes d’un récit lui procuraient une inextricable félicité sans pour autant lui ôter le caractère inattendu d’un fait matériel, comme l’envol de chauves-souris ou l’apparition d’une pluie de pétales de rose un mois de février.
Ainsi avait-il décidé ce jour-là de commencer à écrire un recueil de mémoires, car sa journée semblait être déchue par sa somnolence permanente le privant d’une mobilité efficace. Cela lui permettrait au moins de revivre des événements qui lui avaient plu et qui ne seraient pas ou peu déformés par l’accumulation des souvenirs se superposant les uns sur les autres pour n’en laisser sortir qu’un a priori et un doute quant au caractère réel de la pensée.
Il prit ainsi un stylo et une feuille blanche et laissa cours à son imagination et à ses frivoles souvenirs.


5


Juliette aimait Alexandre depuis le premier jour où ils s’étaient rencontrés.
Cependant, aujourd’hui elle le trouvait absorbé plus que de coutume dans ses pensées.
Elle se hasarda ainsi à lui demander l’objet de ses fantasmes, bien qu’elle sache que, soit il ne lui répondrait rien car souvent lorsqu’il réfléchissait il n’entendait les sons extérieurs parvenir à son hermétique cerveau, soit il se fâcherait car il n’aimait pas être dérangé dans ses réminiscences.
Souvent elle lui disait que même si une bombe explosait dans la maison d’en face, il ne s’en apercevrait pas, ou alors s’il l’entendait, il se vexerait tellement que les voisins prendraient peur non pas à cause de l’explosion mais à cause de ses hennissements.
« Dis moi à quoi tu penses Alexandre ? »
Seul le bruit du silence fit écho à cette naïve question.
Elle refit une tentative en lui passant cette fois-ci ses fins et doux doigts langoureux sur son avant bras. Ce n’est pas le fait du toucher de sa peau avec le contact doucereux de Juliette qui fit prendre conscience à Alexandre de l’endroit et du moment où il se trouvait mais cette magnifique traînée de poussières multicolores que laissaient derrière elles, après chaque mouvement, les mains de sa dulcinée. De même, toutes les collègues de travail de Juliette lui demandaient la cause de cette jonchée permanente de poudre magique qui émanait de ses doigts effilés. Juliette leur répondait en toute innocence et impunité que cela était certainement dû au fait que ses parents l’avaient mise au monde, le premier jour du printemps, dans un champ de coquelicots jonché de narcisses et de violettes. Déméter elle-même était venue leur annoncer plus tard que la fille qu’ils mettraient au monde disposerait d’une telle beauté que des effluves de douceur émaneraient de son corps.
Alexandre, lorsqu’il eut repris ses esprits, lui répondit qu’il pensait au moment de leur rencontre.
Il se demandait si elle s’en souvenait aussi fort que lui-même.
- Tu sais, Alexandre, je pense que ce soir-là restera dans mon cœur à tout jamais, et si jamais à notre mort nous devions l’oublier, ce sont les étoiles qui nous rappèleront fidèlement ce qu’elles ont vu et ressenti cette nuit-là. J’ai confiance, pour cela, en vous : en toi et en tes étoiles.
Alexandre semblait satisfait de cette réponse mais il ressentait quelque chose d’ineffable en lui, quelque chose qui lui faisait horriblement peur et qui lui faisait penser à la mort elle-même, souveraine des espérances.


6


Le royaume des morts était pour Jean ce lieu singulier où la souffrance est normale, cet endroit dénué d'espérances.
Il se sentait à présent le courage d’affronter son destin et de refuser de louvoyer entre les vagues espoirs qui lui obstruaient le passage.
Perséphone l’avait mis en garde du danger que représentait Hadès. Mais son Amour pour elle était trop fort pour qu’il accepte de rester sous la tutelle de cette force démoniaque.
Il désirait au plus profond de lui-même détruire ce sens de l’humilité qui le hantait depuis sa rencontre avec elle. Il savait terriblement que la mort se faisait de plus en plus douce au fur et à mesure qu’elle nous englobait. Mais il savait également qu’elle demeurait incapable d’annihiler les pouvoirs de l’amour.
Après de longues minutes de doute, il décida de partir en quête de cet inconnu qui lui paraissait à présent trop faible pour contrer ses vœux de bonheur.
L’espoir fait vivre, et la mort n’y peut rien…
Sans honte ni regrets, il se jeta de son bloc de granit pour se diriger vers les entrailles de la terre. Une main invisible le poussait et le guidait. Il savait que c’était l’Amour qui déterminerait chaque acte et chaque fait qu’il accomplirait. Cependant une autre force le conduisait vers l’inéluctable. Cela il l’ignorait encore mais il aurait tôt fait de l’apprendre.

7


Adonis posa son stylo sur le bord de la table.
Il n’était pas content de ce qu’il écrivait et il commençait à penser qu’il déformerait la magnificence de ses souvenirs à écrire ainsi.
Il relut alors ses pauvres écrits et ne fut pas touché par l’exactitude de ses descriptions.
Cependant il était convaincu que c’était la meilleure solution pour lui de redécouvrir les vertus d’un récit de faits vécus même s’il connaissait leur caractère indicible.
Il avait ce jour-là rendez-vous avec Sarah, mais lorsqu’il s’en aperçut il était déjà trop tard.
Le fait d’écrire l’avait complètement plongé dans une autre dimension, le temps y figurait incertain, et les lieux devenaient magiques, chargés d’émotions ambiguës.
Il l’avait rencontrée lors d’une conférence d’un illustre économiste - illustre dans le sens où ses points de vue sur l’économie globale étaient partagés par la communauté scientifique toute entière.
Tout de suite, ils s’étaient entendus, malgré la divergence de leur idées sur certains points.
Elle était grande et mince et sa chevelure brune luisait d’une écarlate douceur. Parfois sa prestance et sa silhouette vous laissait convaincu qu’elle appartenait à ce mythe des dieux perdus.
On pouvait croire, ce qu’Adonis fit aussitôt lorsqu’il la croisa pour la première fois dans ce sombre couloir qui menait à la salle de conférence, qu’elle était la Nuit.
Une touchante et mystérieuse relation s’instaura succinctement entre eux. Ils aimaient se rencontrer et se conter diverses histoires sur ce qu’ils venaient de vivre ou aimeraient vivre. Ils avaient chacun pour l’autre une profonde admiration et un vertueux respect qui les propulsaient tous deux hors de l’amitié et en deçà de l’amour.
Mais à présent, Adonis se sentait coupable et terriblement ignoble de s’être laissé emporté par ses volubiles pensées qui défilaient et s’inscrivaient sur cette page blanche vite devenue noire d’incertitudes.
Il se demandait s’il ne devait pas arrêter de la voir car il pensait qu’elle perdrait son temps à s’intéresser à un homme comme lui, ennuyant et timide.
Après maintes réflexions, à peser le pour et le contre, à s’encourager et à perdre espoir, il se décida tout de même à se rendre au rencard fixé. Si elle n’y était déjà plus, il se rendrait directement chez elle pour s’excuser.


8


La rencontre inopportune entre Alexandre et Juliette comportait une certaine volupté de magie.
Il commençait à emprunter le sentier sinueux qui menait au jardin des étoiles situé au sommet de cette colline lourde de la pesanteur de la nuit, lorsqu’un bruit sourd se fit entendre et osa perturber la concentration excessive d’Alexandre.
Il détourna alors la tête en direction du son. Ce qu’il vit, il ne put l’expliquer et lorsqu’il le raconterait plus tard à ses petits enfants, eux-mêmes n’arriveraient à comprendre exactement le sens et la fin de ce trouble nostalgique qui le parcourut tout entier.
A ce moment, une pluie d’étoiles filantes s’étalait dans le firmament et des alcyons prenaient leur envol.
Tout semblait immobile et empreint d’irréel, lorsqu’elle surgit du fond des ténèbres pour se jeter dans ses bras.
Il ne comprenait plus ce qui lui arrivait tellement les événements étaient chargés d’incohérence. Le temps semblait révolu, et le sens de la logique même s’était, en l’espace d’un bref instant, transformé.
Un souffle de douceur émanait de cette personne qui semblait en proie à un indicible poursuivant.
Cependant, seuls des nuages pourpres la suivaient, accompagnés d’une langoureuse mélodie.
Ce son inaudible qu’il avait perçu quelques secondes auparavant s’était métamorphosé en un chant porteur d’espoir en filigranes, semblant lui murmurer la détresse de cette jeune fille.
Elle courut alors vers lui portée par un vent d’allégresse mais il n’osa lui souffler quelques mots de peur qu’elle ne s’évapore dans les airs.
Quand tous deux eurent repris leur souffle, elle lui expliqua l’objet de ses troubles et il en fut complètement stupéfait tant le caractère magique de ses propos l’envoûtait.
Elle venait de s’enfuir d’un inextricable malheur qui l’encerclait de plus en plus, au fur et à mesure que les jours s’écoulaient. Elle avait l’impression que des ombres invisibles n’attendaient que de l’enlever.
Il essaya de la calmer et de la soulager de la frayeur qui l’environnait.
Il lui proposa alors d’aller contempler les étoiles afin qu’elle oublie, pour quelques brefs moments, ce qu’elle avait fui, et surtout pour qu’il puisse retrouver cette part de terre-à-terre qui lui avait fait défaut durant ce fortuit événement.
« Je ne sais pas exactement ce qui est en train de se passer, mais j’aimerais que ce moment reste et demeure à tout jamais ancré dans la profondeur de mon âme, et qu’il ne puisse plus jamais s’en échapper. L’unique Fait de ma vie aura été de rencontrer une Déesse. »
Plus tard elle lui expliquerait les causes fortuites de cette brutale intrusion dans sa vie.
Il lui répondrait que cet évènement restera à jamais gravé au plus profond de son coeur.

9


Lorsque Adonis arriva au café, il vit Sarah en train de discuter tendrement avec une personne qu’ils ne connaissaient d’aucune fréquentation antérieure. Ce qu’il ressentit à ce moment, il ne put l’expliquer de façon objective. Ce qu’il savait, en tous les cas, c’est que de la voir s’intéresser comme cela à un individu et à ses éphémères propos le dérangeait terriblement.
Il n’avait pas honte de cet accès de jalousie, car pour lui, la jalousie n’était pas un sentiment insidieux mais plutôt une marque d’estime féconde de bons et généreux sentiments de respect.
Il s’approcha d’eux, et sans mot dire, il passa son chemin pour aller s’asseoir à la table située derrière la leur. Puis il commanda une vodka glaçon.
Il regrettait qu’elle puisse parler et surtout s’intéresser à quelqu’un d’autre que lui. Il savait qu’elle en avait tout à fait le droit, mais pourquoi maintenant et avec cet inconnu ?
Au bout d’un certain temps de douloureuses pensées, il sortit de sa poche ses dernières feuilles griffonnées. Il espérait qu’elle se retournât et qu’elle le regardât, cependant elle ne le fit point. Elle continuait de bavarder avec cet homme et semblait n’avoir point détecté sa présence.
Une fois le premier verre terminé, Adonis en commanda un second, puis un troisième…
Il y avait sur le mur du bar un tableau qui représentait un champ de magnifiques violettes, soufflées par le vent et chauffées langoureusement par les rayons ambulants du soleil. De légères apparitions de pavots, de narcisses et de coquelicots ajoutaient à l’œuvre une marque d’abstrait, et la profondeur des couleurs ranimait le concret de la peinture.
Il contemplait ce tableau lorsque Sarah se leva pour se diriger vers la sortie, toujours accompagnée de cet illustre inconnu.
Elle ne fît aucun signe à Adonis, ce qui le troubla énormément.
Il se leva brusquement, mais se rassit quand il interpréta ce qu’il avait l’intention de faire…
« La seule chose, à présent, qu’il me reste à faire est de rentrer à la maison pour oublier cet événement. En espérant qu’elle l’oublie également… Il faut que je trouve une raison pour m’excuser de mon retard. Elle doit certainement m’en vouloir et c’est peut-être pour cela qu’elle a feint de m’ignorer. A moins que cet homme soit son petit ami. Non. Impossible. Elle ne m’en a jamais fait part. A moins que…».


10


Comme tous les soirs, Alexandre se dirigea vers son télescope. Cette soirée s’annonçait d’une prodigieuse clarté, sans nuage pour la déconcerter, ni de vent pour transporter des poussières cosmiques au devant de sa lunette astronomique.
Cependant, il n’en fit rien. Le cœur n’y était déjà plus.
Juliette était en train de saupoudrer la chambre à coucher de pétales de myosotis quand Alexandre vint la rejoindre.
Ils habitaient cette jolie petite maison située en marge de la ville. Les pièces n’étaient certes pas très grandes mais le parfum des saisons venaient déformer l’exiguïté des murs.
Alexandre et Juliette étaient pleinement heureux et à leur aise dans leur maisonnette aménagée tout en trompe l’œil et aucun goût de luxe ne venait interrompre ce bonheur.
- Qu’est ce que tu fais là ? dit-elle, tu devrais contempler tes étoiles sinon elles vont finir par s’envoler…
- Hier j’ai terminé le livre que je lisais ces derniers temps, et je m’en trouve terriblement boulversé. J’ai l’impression qu’il n’est pas achevé.
- Lequel ? Celui sur la mythologie grecque ?
- Oui. Je ressens un trouble bizarre, mais tellement contraignant. Cela m’empêche de me concentrer sur d’autres sujets. Je n’arrive plus à me décrocher de ce dilemme : la loi des grandeurs peut-elle être plus heureuse que celle du monde de l’infiniment petit ? les Dieux sont-ils plus heureux que nous, si misérables et insignifiants face à leur grandeur ?
- Je ne comprends pas exactement ce que tu souhaites me dire.
- Je n’arrive pas à saisir le continuum entre les mondes imaginaires (ou mythologiques si tu préfères), et le monde vécu ou mythique, si tant est que cela soit forcément vrai. Quand s’arrêtent les mythes ? La frontière avec le réel est tellement floue…
Alexandre avait toujours eu une personnalité énigmatique de par son lunatisme cyclique. Mais ce soir-là, Juliette le trouvait encore plus distant que de coutume.
Elle savait que son caractère et son comportement dépendaient des phases de plénitude de la Lune. Quand celle-ci s’affichait en pleine clarté, il était alors impossible d’engager la moindre conversation avec Alexandre tant l’objet de ses pensées le prenait tout entier. Il était obnubilé par des pensées quasi envoûtantes. Par contre lorsque la Lune avait disparu derrière le rideau noir de la nuit, il devenait l’homme le plus attachant et le plus disponible qu’elle ait jamais connu.
C’est ainsi que Juliette avait l’habitude d’entendre Alexandre lui parler de propos extrapolés jusqu’à l’incompréhension et l’incohérence totale. Cependant ce soir-là, la lune n’en était qu’à son premier quart... Elle n’arrivait pas à saisir complètement ce qu’il voulait dire, tant le sujet de ces tergiversations était différent de ce qu’elle avait entendu, et peut-être saisi, auparavant.


11


Le but recherché dans la lecture d’un livre est ce désir profond de voyager – non vers des terres déjà explorées – mais vers des endroits encore nullement découverts et nullement tronqués par les dures images de la réalité. Le vagabondage d’un mot à l’autre entraîne cette douce ivresse qui vous porte vers une allégeance de l’allégorie, vers cette symptomatique envie de toujours découvrir le visage de l’inconnu.
Adonis ressentait maintenant ce douloureux fardeau de la jalousie, qui pesait sur ses minces épaules et qui le meurtrissait horriblement.
Comment oublier cela ? L’imagination est à ce point désobligeante et inefficace que la vertu même des pensées tacites l’emporte sur elle ?
Il ne savait que faire.
Il se décida cependant à aller la voir chez elle. Elle n’habitait pas très loin de chez lui. C’était juste à quelques rues et à quelques maisons de sa mansarde. Elle habitait une petite maison de deux étages qui devait avoir été construite au début du siècle. Elle logeait au premier étage surélevés de quelques mètres par rapport au sol. Seuls quelques escaliers séparaient sa demeure des mouvements ininterrompus de la rue. Sous les escaliers se situaient une petite serre dans laquelle elle avait fait poussée toute sorte de fleurs, en allant des myosotis aux lilas. Il faisait bon pour les passants de passer devant cette maison de laquelle émanaient tant de couleurs et d’odeurs ennivrantes. La propriétaire, une vieille femme qui avait perdu son mari quelques années auparavant, logeait quant à elle au-dessus de l’appartement.
Au pied du palier de Sarah, Adonis hésita imperceptiblement à frapper à sa porte.
Il n’eut le besoin de le faire car au moment de poser les premiers coups sur la lourde surface de bois, la porte s’ouvrit.
Il recula d’un bond et descendit les quelques marches pour se poster au bas dans la rue, et fut brusquement sidéré et pris de vertiges. C’était ce grand blond qui franchissait le seuil de l’antre de sa folie.
Diplomate, Adonis le laissa embrasser Sarah, et le regarda partir, sentant une montée aiguë de rage l’envahir.
Puis, lorsqu’il le vit tourner à l’angle de la rue, il tourna lui-même ses talons pour s’enfuir vers le côté opposé : celui d’où nul ne revient…

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